nent au serieux et s'en vont pieusement
faire leurs prieres. Achmet marchait a cote de lui, revetu de ses plus
beaux habits. Il avait demande de regler lui-meme le programme de cette
derniere journee, et se renfermait pour l'instant dans un deuil
silencieux.
XVIII
Apres avoir couru tous les recoins familiers du vieux Stamboul, fume un
grand nombre de narguilhes et fait station a toutes les mosquees, nous
nous retrouvons le soir a Eyoub, ramenes encore une fois vers ce lieu,
ou je ne suis plus qu'un etranger sans gite, dont le souvenir meme sera
bientot efface.
Mon entree au cafe de Suleiman produit sensation: on m'avait considere
comme un personnage disparu, eteint pour tout de bon et pour jamais.
L'assistance, ce soir, y est nombreuse et fort melee: beaucoup de tetes
entierement nouvelles, de provenance inconnue; un public de cour des
Miracles, ou peu s'en faut.
Achmet cependant organise pour moi une fete d'adieu et commande un
orchestre: deux hautbois a l'aigre voix de cornemuse, un orgue et une
grosse caisse.
Je consens a ces preparatifs sur la promesse formelle qu'on ne brisera
rien, et que je ne verrai pas couler de sang.
Nous allons nous etourdir ce soir; pour mon compte, je ne demande pas
mieux.
On m'apporte mon narguilhe et ma tasse de cafe turc, qu'un enfant est
charge de renouveler tous les quarts d'heure, et Achmet, prenant les
assistants par la main, les forme en cercle et les invite a danser.
Une longue chaine de figures bizarres commence a s'agiter devant moi,
a la lueur troublee des lanternes; une musique assourdissante fait
trembler les poutres de cette masure; les ustensiles de cuivre pendus
aux murailles noires s'ebranlent et donnent des vibrations metalliques;
les hautbois poussent des notes stridentes, et la _gaiete dechirante_
eclate avec frenesie.
Au bout d'une heure, tous etaient grises de mouvement et de tapage; la
fete etait a souhait.
Je n'y voyais plus moi-meme qu'a travers un nuage, ma tete s'emplissait
de pensees etranges et incoherentes. Les groupes, extenues et haletants,
passaient et repassaient dans l'obscurite. La danse tourbillonnait
toujours, et Achmet, a chaque tour, brisait une vitre du revers de sa
main.
Une a une, toutes les vitres de l'etablissement tombaient a terre, et se
pulverisaient sous les pieds des danseurs; les mains d'Achmet, labourees
de coupures profondes, ensanglantaient le plancher.
Il parait qu'il faut du bruit et du sang aux
|