de civilisation occidentale, et
resta un instant reveur.
--Pourquoi, dit-il, apres la guerre, n'amenerais-tu pas ta famille en
Turquie d'Asie, Loti?
--Loti, dit Achmet, je veux que tu emportes ce chapelet qui me vient de
mon pere Ibrahim, et promets-moi qu'il ne te quittera jamais. Je sais
bien, reprit-il en pleurant, que je ne te reverrai plus. Dans un mois,
nous aurons la guerre; c'est fini des pauvres Turcs, c'est fini de
Stamboul, les _Moscov_ nous detruiront tous, et, quand tu reviendras,
Loti, ton Achmet sera mort.
"Son corps restera quelque part dans la campagne, du cote du Nord; il
n'aura meme pas une petite tombe en marbre gris, sous les cypres, dans
le cimetiere de Kassim-Pacha; Aziyade sera passee en Asie, et tu ne
retrouveras plus sa trace, personne ne pourra plus te parler d'elle.
Loti, dit-il en pleurant, reste avec ton frere!
Helas! Je crains ces Moscov autant que lui-meme, je tremble a cette
idee horrible que je pourrais en effet perdre sa trace, et que je ne
trouverais plus personne au monde qui put jamais me parler d'elle!...
XXVI
Les muezzins montent a leurs minarets, c'est l'heure du namaze de midi;
il est temps de partir.
En passant par Galata, je vais saluer leur " madame ". J'embrasserais
presque cette vieille coquine.
Achmet me reconduit a bord, ou nous nous disons adieu au milieu du
tohu-bohu des visites et de l'appareillage.
Nous partons, et Stamboul s'eloigne ...
XXVII
En mer, 27 mars 1877.
Un pale soleil de mars se couche sur la mer de Marmara. L'air du large
est vif et froid. Les cotes, tristes et nues, s'eloignent dans la brume
du soir. Est-ce fini, mon Dieu, et ne la verrai-je plus?
Stamboul a disparu; les plus hauts domes des plus hautes mosquees, tout
s'est perdu dans l'eloignement, tout s'est efface. Je voudrais seulement
une minute la voir, je donnerais ma vie pour seulement toucher sa main;
j'ai une envie folle de sa presence.
J'ai encore dans la tete tout le tapage de l'Orient, les foules de
Constantinople, l'agitation du depart, et ce calme de la mer m'oppresse.
Si elle etait la, je pleurerais, ce que je n'ai pu faire; je mettrais ma
tete sur ses genoux et je pleurerais comme un enfant; elle me verrait
pleurer et elle aurait confiance. J'ai ete bien tranquille et bien froid
en lui disant adieu.
Et je l'adore pourtant. En dehors de toute ivresse, je l'aime, de
l'affection la plus tendre et la plus pure; j'aime son ame et son coeur
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