ut se hater de jouir l'un de l'autre comme si on allait mourir.
La nouvelle de mon depart avait deja circule et je recus plusieurs
visites d'adieu de mes voisins de Stamboul. Aziyade s'enfermait dans
la chambre de Samuel, et je l'entendais pleurer. Les visiteurs aussi
l'entendaient bien un peu, mais sa presence frequente chez moi avait
deja transpire dans le voisinage, et elle etait tacitement admise.
Achmet, d'ailleurs, avait affirme la veille au soir au public qu'elle
etait Armenienne; et cette assurance, donnee par un musulman, etait sa
sauvegarde.
--Nous nous etions toujours attendus, disait le derviche Hassan-effendi,
a vous voir disparaitre ainsi, par une trappe ou un coup de baguette.
Avant de partir, nous direz-vous, Arif ou Loti, qui vous etes et ce que
vous etes venu faire parmi nous?
Hassan-effendi etait de bonne foi; bien que lui et ses amis eussent
desire savoir qui j'etais, ils l'ignoraient absolument parce qu'ils ne
m'avaient jamais epie. On n'a pas encore importe en Turquie le
commissaire de police francais, qui vous depiste en trois heures; on est
libre d'y vivre tranquille et inconnu.
Je declinai a Hassan-effendi mes noms et qualites, et nous nous fimes la
promesse de nous ecrire.
Aziyade avait pleure plusieurs heures; mais ses larmes etaient moins
ameres. L'idee de me revoir commencait a prendre consistance dans son
esprit et la rendait plus calme. Elle commencait a dire: " Quand tu
seras de retour ..."
--Je ne sais pas, Loti, disait-elle, si tu reviendras,--Allah seul le
sait! Tous les jours je repeterai: _Allah! selamet versen Loti_
!(Allah! protege Loti!) et Allah ensuite fera selon sa volonte.
Pourtant, reprenait-elle avec serieux, comment pourrais-je t'attendre un
an, Loti? Comment cela se pourrait-il, quand je ne sais plus rester un
jour, non pas meme une heure, sans te voir. Tu ne sais pas, toi, que les
jours ou tu es de garde, je vais me promener en haut du Taxim, ou
m'installer en visite chez ma mere Behidje, parce que de la on apercoit
de loin le _Deerhound_. Tu vois bien, Loti, que c'est impossible, et
que, si tu reviens, Aziyade sera morte ...
XII
Achmet aura mission de me transmettre les lettres d'Aziyade et de lui
faire passer les miennes, voie de Kadidja, et il me faut une provision
d'enveloppes a son adresse.
Or, Achmet ne sait point ecrire, ni lui ni personne de sa famille;
Aziyade ecrit trop mal pour affronter la poste, et nous voila tous les
trois assis
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