d_, l'heure a laquelle je dois
rentrer. Un coup de sifflet m'annonce qu'un canot du bord va venir ici
me prendre. Le voila qui se detache de la masse noire du navire, et qui
lentement s'approche de nous. C'est l'heure triste, l'heure inexorable
des adieux!
J'embrasse ses levres et ses mains. Ses mains tremblent legerement; cela
a part, elle est aussi calme que moi-meme, et sa chair est glacee.
Le canot est rendu: elle et Achmet se retirent dans un angle obscur de
la mosquee; je pars, et je les perds de vue!
Un instant apres, j'entends le roulement rapide de la voiture qui
emporte pour toujours ma bien-aimee!... bruit aussi sinistre que celui
de la terre qui roule sur une tombe cherie.
C'est bien fini sans retour! si je reviens jamais comme je l'ai jure,
les annees auront secoue sur tout cela leur cendre, ou bien j'aurai
creuse l'abime entre nous deux en en epousant une autre, et elle ne
m'appartiendra plus.
Et il me prit une rage folle de courir apres cette voiture, de retenir
ma cherie dans mes bras, de nouer mes bras autour d'elle, pendant que
nous nous aimions encore de toute la force de notre ame, et de ne plus
les ouvrir qu'a l'heure de la mort.
..................
XVI
24 mars.
Un matin pluvieux de mars, un vieux juif demenage la maison d'Arif.
Achmet surveille cette operation d'un oeil morne.
--Achmet, ou va votre maitre? disent les voisins matineux sortis sur
leur porte.
--Je ne sais pas, repond Achmet.
Des caisses mouillees, des paquets trempes de pluie, s'embarquent dans
un caique, et s'en vont on ne sait ou, descendant la Corne d'or du cote
de lamer.
Et c'est fini d'Arif, le personnage a cesse d'exister.
Tout ce reve oriental est acheve; cette etape de mon existence, la
derniere sans doute qui aura du charme, est passee sans retour, et le
temps peut-etre en balayera jusqu'au souvenir.
XVII
Quand Achmet vint a bord, escortant ce convoi de bagages, je lui
annoncai qu'un nouveau sursis nous etait accorde, de vingt-quatre heures
au moins. Il ventait tempete du cote de Marmara.
--Allons encore courir Stamboul, lui dis-je; ce sera comme une
promenade posthume, qui aura son charme de tristesse. Mais elle, je ne
la reverrai plus!
Et j'allai deposer mes habits europeens chez leur " madame ";
Arif-effendi en personne sortit encore une fois de ce bouge, et passa
les ponts, un chapelet a la main, avec l'air grave et la tenue correcte
des bons musulmans qui se pren
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