douleurs turques.
J'etais ecoeure de cette fete, inquiet aussi pour l'avenir de voir
Achmet faire de pareilles sottises et se soucier si peu de ses
promesses.
Je me levai pour sortir; Achmet comprit et me suivit en silence. L'air
froid du dehors nous rendit le calme et la possession de nous-memes.
--Loti, dit Achmet, ou vas-tu?
--A bord, repondis-je; je ne te connais plus; je tiendrai mes promesses
comme tu as ce soir tenu les tiennes, tu ne me reverras jamais.
Et j'allai plus loin discuter avec un batelier attarde le prix d'un
passage pour Galata.
--Loti, dit Achmet, pardonne-moi, tu ne peux pas laisser ainsi ton
frere!
Et il commenca a me supplier en pleurant.
Moi non plus, je ne voulais pas le laisser ainsi, mais j'avais juge
qu'une penitence et une semonce lui etaient necessaires, et je restais
inexorable.
Alors, il chercha a me retenir avec ses mains pleines de sang, et
s'accrocha a moi avec desespoir. Je le repoussai violemment et le lancai
contre une pile de bois qui s'ecroula avec fracas. Des bachibozouks de
patrouille qui passaient nous prirent pour des malfaiteurs, et
s'approcherent avec un fanal.
Nous etions au bord de l'eau, dans un endroit solitaire de la banlieue,
loin des murs de Stamboul, et ces mains rouges representaient mal.
--Ce n'est rien, dis-je; seulement, ce garcon a bu, et je le ramenais
chez lui.
Alors, je pris Achmet par la main, et l'emmenai chez sa soeur Eriknaz,
qui, apres avoir panse ses doigts, lui fit un long sermon et l'envoya
coucher.
XIX
26 mars.
Encore un jour,--dernier sursis de notre depart.
Encore un jour, encore une toilette chez leur " madame " et je me
retrouve a Stamboul.
Il fait temps sombre d'orage, la brise est tiede et douce. Nous fumons
un narguilhe de deux heures sous les arcades mauresques de la rue du
Sultan-Selim.--Les colonnades blanches, deformees par les annees,
alternent avec les kiosques funeraires et les alignements de tombeaux.
Des branches d'arbres, toutes roses de fleurs, passent par-dessus les
murailles grises; de fraiches plantes croissent partout, et courent
gaiement sur les vieux marbres sacres.
J'aime ce pays, et tous ces details me charment; je l'aime parce que
c'est le sien et qu'elle a tout anime de sa presence,--elle qui est
encore la tout pres, et que cependant je ne verrai plus.
Le soleil couchant nous trouve assis devant la mosquee de Mehmed-Fatih,
sur certain banc ou nous avons autrefois passe
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