e! le courage m'avait manque pour lui dire a
elle: " Apres-demain, je vais partir."
Je rentrai le soir a la case. Le soleil couchant eclairait ma chambre de
ses beaux rayons rouges; le printemps etait dans l'air. Les cafedjis
s'etalaient dehors comme dans les jours d'ete; tous les hommes du
voisinage, assis dans la rue, fumaient leur narguilhe sous les amandiers
blancs de fleurs.
Achmet etait dans la confidence de mon depart. Nous faisions l'un et
l'autre des efforts inouis de conversation; mais Aziyade avait a moitie
compris, et promenait sur nous ses grands yeux interrogateurs; la nuit
vint, et nous trouva silencieux comme des morts.
A une heure a la turque (sept heures), Achmet apporta une certaine
vieille caisse qui, renversee, nous servait de table, et posa dessus
notre souper de pauvres. (Nos derniers arrangements avec le juif Isaac
nous avaient laisses sans sou ni maille.)
C'etait gai d'ordinaire, notre diner a deux, et nous nous amusions
nous-memes de notre misere: deux personnages souvent habilles de soie
et d'or, assis sur des tapis de Turquie, et mangeant du pain sec sur le
fond d'une vieille caisse.
Aziyade s'etait assise comme moi; mais sa part devant elle restait
intacte; ses yeux etaient attaches sur moi avec une fixite etrange, et
nous avions peur l'un et l'autre de rompre ce silence.
--J'ai compris, va, Loti, dit-elle ... C'est la derniere fois, n'est-ce
pas?
Et ses larmes pressees commencerent a tomber sur son pain sec.
--Non, Aziyade, non, ma cherie! Demain encore, et je te le jure.
Apres, je ne sais plus ...
Achmet vit que le souper etait inutile. Il emporta sans rien dire la
vieille caisse, les assiettes de terre, et se retira, nous laissant dans
l'obscurite ...
VI
Le lendemain, c'etait le jour de tout arracher, de tout demolir, dans
cette chere petite case, meublee peu a peu avec amour, ou chaque objet
nous rappelait un souvenir.
Deux _hamals_ que j'avais enroles pour cette besogne etaient la,
attendant mes ordres pour s'y mettre; j'imaginai de les envoyer diner
pour gagner du temps et retarder cette destruction.
--Loti, dit Achmet, pourquoi ne dessines-tu pas ta chambre? Apres les
annees, quand la vieillesse sera venue, tu la regarderas et tu te
souviendras de nous.
Et j'employai cette derniere heure a dessiner ma chambre turque. Les
annees auront du mal a effacer le charme de ces souvenirs.
Quand Aziyade vint, elle trouva des murailles nues, et tout en d
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