ideaux, decouvrent des tetes humaines,
jeunes ou vieilles, laides ou gracieuses.
Le regard ne plonge jamais dans une demeure turque. Si la porte s'ouvre
pour laisser passer un visiteur, elle s'entrebaille seulement; quelqu'un
est derriere, qui la referme aussitot. L'interieur ne se devine jamais.
Cette grande maison la-bas, peinte en rouge sombre, c'est celle
d'Aziyade. La porte est surmontee d'un soleil, d'une etoile et d'un
croissant; le tout en planches vermoulues. Les peintures qui ornent les
treillages des shaknisirs representent des tulipes bleues melees a des
papillons jaunes. Pas un mouvement n'indique qu'un etre vivant l'habite;
on ne sait jamais si, des fenetres d'une maison turque, quelqu'un vous
regarde ou ne vous regarde pas.
Derriere moi, la-haut, la grande place est doree par le soleil couchant;
ici, dans la rue, tout est deja dans l'ombre.
Je me cache a moitie derriere un pan de muraille, je regarde cette
maison, et mon coeur bat terriblement.
Je pense a ce jour ou je l'avais vue, et pour la premiere fois de ma
vie, derriere les grilles de la maison de Salonique. Je ne sais plus ce
que je veux, ni ce que je suis venu chercher; j'ai peur que les autres
femmes ne rient de moi; j'ai peur d'etre ridicule, et surtout j'ai peur
de la perdre ...
XX
Quand je remontais sur la place de Mehmed-Fatih, le soleil dorait en
plein l'immense mosquee, les portiques arabes et les minarets
gigantesques. Les oulemas qui sortaient de la priere du soir s'etaient
tous arretes sur le seuil, et s'etageaient dans la lumiere sur les
grandes marches de pierre. La foule accourait vers eux et les entourait
: au milieu du groupe, un jeune homme montrait le ciel, un jeune homme
qui avait une admirable tete mystique. Le turban blanc des oulemas
entourait son beau front large; son visage etait pale, sa barbe et ses
grands yeux etaient noirs comme de l'ebene.
Il montrait en haut un point invisible, il regardait avec extase dans la
profondeur du ciel bleu et disait:
--Voila Dieu! Regardez tous! Je vois Allah! Je vois l'Eternel!
Et nous courumes, Achmet et moi, comme la foule, aupres de l'oulema qui
voyait Allah.
XXI
Nous ne vimes rien, helas! Nous en aurions eu besoin cependant. Alors,
comme toujours, j'aurais donne ma vie pour cette vision divine, ma vie
seulement pour un signe du ciel, ma vie pour une simple manifestation du
surnaturel.
--Il ment, disait Achmet; quel est l'homme qui a jamais v
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