eme etape
ou la pluie nous prend.
De Kara-Moussar a Nicee (Isnik), course a cheval dans des montagnes
sombres, par temps de neige; l'hiver est revenu. Course semee de
peripeties, un certain Ismael, accompagne de trois zeibeks armes
jusqu'aux dents, ayant eu l'intention de nous devaliser. L'affaire
s'arrange pour le mieux, grace a une rencontre inattendue de
bachibozouks, et nous arrivons a Nicee, crottes seulement. Je presente
avec assurance mon passeport de sujet ottoman, fabrique du pacha
d'Ismidt; l'autorite, malgre mon langage encore hesitant, se laisse
prendre a mon chapelet et a mon costume; me voila pour tout de bon un
indiscutable effendi.
A Nicee, de vieux sanctuaires chretiens des premiers siecles, une
Aya-Sophia (Sainte-Sophie), soeur ainee de nos plus anciennes eglises
d'Occident. Encore des montreurs d'ours pour compagnons de chambree.
Nous voulions rentrer par Brousse et Moudania; l'argent etant venu a
manquer, nous retournons a Kara-Moussar, ou nos dernieres piastres
passent a dejeuner. Nous tenons conseil, duquel conseil il resulte que
je donne ma chemise a Achmet, qui va la vendre. Cet argent suffit a
payer notre retour et nous nous embarquons le coeur leger, et la bourse
aussi.
Nous voyons reparaitre Stamboul avec joie. Ces quelques journees y ont
change l'aspect de la nature; de nouvelles plantes ont pousse sur le
toit de ma case; toute une nichee de petits chiens, dernierement nes sur
le seuil de ma porte, commencent a japer et a remuer la queue; leur
maman nous fait grand accueil.
LXV
Aziyade arriva le soir, me racontant combien elle avait ete inquiete, et
combien de fois elle avait dit pour moi:
--_Allah! Selamet versen Loti_! (Allah! protege Loti!)
Elle m'apportait quelque chose de lourd, contenu dans une toute petite
boite, qui sentait l'eau de roses comme tout ce qui venait d'elle. Sa
figure rayonnait de joie en me remettant ce petit objet mysterieux, tres
soigneusement cache dans sa robe.
--Tiens, Loti, dit-elle, _bon benden sana edie_. (Ceci est un cadeau
que je te fais.)
C'etait une lourde bague en or martele, sur laquelle etait grave son
nom.
Depuis longtemps, elle revait de me donner une bague, sur laquelle
j'emporterais dans mon pays son nom grave. Mais la pauvre petite n'avait
pas d'argent; elle vivait dans une large aisance, dans un luxe relatif;
il lui etait possible d'apporter chez moi des pieces de soie brodee, des
coussins et differents objets dont
|