eil Abeddin, qui etait a
Andrinople!...
C'etait une belle apres-midi d'hiver, et nous nous promenions tous deux,
elle et moi, heureux comme deux enfants de nous trouver ensemble au
soleil, une fois par hasard, et de courir la campagne.
Il etait triste cependant le lieu de promenade que nous avions choisi:
nous longions la grande muraille de Stamboul, lieu solitaire par
excellence, et ou tout semble s'etre immobilise depuis les derniers
empereurs byzantins.
La grande ville a toutes ses communications par mer, et autour de ses
murs antiques le silence est aussi complet qu'aux abords d'une
necropole. Si, de loin en loin, quelques portes s'ouvrent dans les
epaisseurs de ces remparts, on peut affirmer que personne n'y passe et
qu'il eut autant valu les supprimer. Ce sont du reste de petites portes
basses, contournees, mysterieuses, surmontees d'inscriptions dorees et
d'ornements bizarres.
Entre la partie habitee de la ville et ses fortifications s'etendent de
vastes terrains vagues occupes par des masures inquietantes, des ruines
eboulees de tous les ages de l'histoire.
Et rien au-dehors ne vient interrompre la longue monotonie de ces
murailles; a peine, de distance en distance, un minaret dressant sa tige
blanche; toujours les memes creneaux, toujours les memes tours, la meme
teinte sombre apportee par les siecles,--les memes lignes regulieres,
qui s'en vont, droites et funebres, se perdre dans l'extreme horizon.
Nous marchions tous deux seuls au pied de ces grands murs. Tout autour
de nous, dans la campagne, c'etaient des bois de ces cypres
gigantesques, hauts comme des cathedrales, a l'ombre desquels par
milliers se pressaient les sepultures des Osmanlis. Je n'ai vu nulle
part autant de cimetieres que dans ce pays, ni autant de tombes, ni
autant de morts.
--Ces lieux, disait Aziyade, etaient affectionnes d'Azrael qui, la
nuit, y arretait son vol. Il repliait ses grandes ailes et marchait
comme un homme sous ces ombrages terribles.
Cette campagne etait silencieuse, ces sites imposants et solennels.
Et cependant nous etions gais, tous les deux, heureux de notre escapade,
heureux d'etre jeunes et libres, de circuler une fois par hasard, en
plein vent comme tout le monde, et sous le beau ciel bleu.
Son yachmak, tres epais, etait ramene sur ses yeux jusqu'a derober tout
son front; a peine voyait-on, par l'ouverture du voile, rouler ses
prunelles, si limpides et si mobiles; son feredje d'emprunt etait d'un
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