irs que de ma vie
je ne pourrai oublier.
LVI
_Allah illah Allah, ve Mohammed! recoul Allah_ (Dieu seul est Dieu,
et Mahomet est son prophete!).
Tous les jours, depuis des siecles, a la meme heure, sur les memes
notes, du haut du minaret de la djiami, la meme phrase retentit
au-dessus de ma maison antique. Le muezzin, de sa voix stridente, la
psalmodie aux quatre points cardinaux, avec une monotonie automatique,
une regularite fatale.
Ceux-la qui ne sont deja plus qu'un peu de cendre l'entendaient a cette
meme place, tout comme nous qui sommes nes d'hier. Et sans treve, depuis
trois cents ans, a l'aube incertaine des jours d'hiver, aux beaux levers
du soleil d'ete, la phrase sacramentelle de l'islam eclate dans la
sonorite matinale, melee au chant des coqs, aux premiers bruits de la
vie qui s'eveille. Diane lugubre, triste reveil a nos nuits blanches, a
nos nuits d'amour. Et alors, il faut partir, precipitamment nous dire
adieu, sans savoir si nous nous reverrons jamais, sans savoir si demain
quelque revelation subite, quelque vengeance d'un vieillard trompe par
quatre femmes, ne viendra pas nous separer pour toujours, si demain ne
se jouera pas quelqu'un de ces sombres drames de harem, contre lesquels
toute justice humaine est impuissante, tout secours materiel,
impossible.
Elle s'en va, ma chere petite Aziyade, affublee comme une femme du bas
peuple d'une grossiere robe de laine grise fabriquee dans ma maison,
courbant sa taille flexible,--appuyee sur un baton quelquefois, et
cachant son visage sous un epais yachmak.
Un caique l'emmene, la-bas, dans le quartier populeux des bazars, d'ou
elle rejoint au grand jour le harem de son maitre, apres avoir repris
chez Kadidja ses vetements de cadine. Elle rapporte de sa promenade,
pour un peu sauvegarder les apparences, quelques objets pouvant
ressembler a des achats de fleurs ou de rubans ...
LVII
...Achmet etait tres important et tres solennel: nous accomplissions
tous deux une expedition pleine de mystere, et lui etait nanti des
instructions d'Aziyade, tandis que moi, j'avais jure de me laisser mener
et d'obeir.
A l'echelle d'Eyoub, Achmet debattit le prix d'un caique pour
Azar-kapou. Le marche conclu, il me fit embarquer. Il me dit gravement:
--Assieds-toi, Loti.
Et nous partimes.
A Azar-kapou, je dus le suivre dans d'immondes ruelles de truands,
boueuses, noires, sinistres, occupees par des marchands de goudron, de
vieilles po
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