mal
exercee.
--Ah ca, Paul Arsene, s'ecria Horace en eclatant de rire, ou vous etes
un petit juif, ou vous etes amoureux de la belle madame Poisson."
Il fit cette plaisanterie, selon son habitude, avec si peu de
precaution, que madame Poisson, dont le comptoir etait tout pres,
l'entendit et rougit jusqu'au blanc des yeux. Arsene devint pale comme
la mort et laissa tomber le plateau; M. Poisson accourut au bruit, donna
un coup d'oeil au degat, et alla au comptoir pour l'inscrire sur un
livre _ad hoc_. Le garcon de cafe est comptable de tout ce qu'il casse.
En voyant l'emotion de sa femme, nous entendimes le patron lui dire
d'une voix apre:
"Vous serez donc toujours prete a sauter et a crier au moindre bruit?
Vous avez des nerfs de marquise."
Madame Poisson detourna la tete et ferma les yeux, comme si la vue de
cet homme lui eut fait horreur. Ce petit drame bourgeois se passa en
trois minutes; Horace n'y fit aucune attention: mais ce fut pour moi
comme un trait de lumiere.
L'interet sincere et profond que j'eprouvais pour le pauvre Masaccio me
fit souvent retourner au cafe Poisson; j'y fis de plus longues seances
que de coutume, et j'y augmentai ma consommation, afin de ne point
eveiller desagreablement l'attention du maitre, qui me parut jaloux et
brutal. Mais quoique je m'attendisse sans cesse a voir quelque tragedie
dans ce menage, il se passa plus d'un mois sans que l'ordre farouche en
parut trouble. Arsene remplissait ses fonctions de valet avec une rare
activite, une proprete irreprochable, une politesse brusque et de bonne
humeur qui captivait la bienveillance de tous les habitues et jusqu'a
celle de son rude patron.
"Vous le connaissez?" me dit un jour ce dernier en voyant que je causais
un pou longuement avec lui. Arsene m'avait recommande de ne point dire
qu'il eut ete artiste, de peur de lui aliener la confiance de son
maitre, et conformement aux instructions qu'il m'avait donnees, je
repondis que je l'avais vu dans un restaurant ou on le regrettait
beaucoup.
"C'est un excellent sujet, me repondit M. Poisson; parfaitement honnete,
point causeur, point donneur, point ivrogne, toujours content, toujours
pret. Mon etablissement a beaucoup gagne depuis qu'il est a mon service.
Eh bien! Monsieur, croiriez-vous que madame Poisson, qui est d'une
faiblesse et d'une indulgence absurdes avec tous ces gaillards-la, ne
peut point souffrir ce pauvre Arsene!"
M. Poisson parlait ainsi debout, a deux pas de
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