pas lui parler, parce que
le surveillant farouche etait la; mais elle avait trouve moyen, en lui
rendant la monnaie de sa piece de cinq francs, de lui glisser un billet
ainsi concu:
"Mon pauvre Arsene, si tu ne meprises pas trop ta payse, viens causer
avec elle demain. C'est le jour de garde de M. Poisson. J'ai besoin de
parler de mon pays et de mon bonheur passe."
"Certes, continua Eugenie, Arsene fut exact au rendez-vous. Il en sortit
plus amoureux que jamais. Il avait trouve Marthe embellie par sa paleur,
et ennoblie par son chagrin. Et puis, comme elle avait lu beaucoup de
romans a son comptoir, et meme quelquefois des livres plus serieux, elle
avait acquis un beau langage et toutes sortes d'idees qu'elle n'avait
pas auparavant. D'ailleurs, elle lui confiait ses malheurs, son
repentir, son desir de quitter la position honteuse et miserable que son
seducteur lui avait faite, et Arsene se figurait que les devoirs de
la charite chretienne et de l'amitie fraternelle l'enchainaient seuls
desormais a sa compatriote. Il ne cessa de roder autour d'elle, sans
toutefois eveiller les soupcons du jaloux, et il parvint a causer avec
Marthe toutes les fois que M. Poisson s'absentait. Marthe etait bien
decidee a quitter son tyran; mais ce n'etait pas, disait-elle, pour
changer de honte qu'elle voulait s'affranchir. Elle chargeait Arsene de
lui trouver une condition ou elle put vivre honnetement de son travail,
soit comme femme de charge chez de riches particuliers, soit comme
demoiselle de comptoir dans un magasin de nouveautes, etc.; mais toutes
les conditions que Paul envisageait pour elle lui semblaient indignes
de celle qu'il aimait. Il voulait lui trouver une position a la fois
honorable, aisee et libre: ce n'etait pas facile. C'est alors qu'il
a concu et execute le projet de quitter les arts et de reprendre une
industrie quelconque, fut-ce la domesticite. Il s'est dit que sa tante
allait bientot mourir, qu'il ferait venir ses soeurs a Paris, qu'il
les etablirait comme ouvrieres en chambre avec Marthe, et qu'il les
soutiendrait toutes les trois tant qu'elles ne seraient pas mises dans
un bon train d'affaires, sauf a ne jamais reprendre la peinture, si ses
avances et leur travail ne suffisaient pas pour les faire vivre dans
l'aisance. C'est ainsi que Paul a sacrifie la passion de l'art a celle
du devouement, et son avenir a son amour.
"Ne trouvant pas d'emploi plus lucratif pour le moment que celui de
garcon de cafe, il
|