nt spirituel. Je conteste l'epithete.
L'esprit n'existe qu'a la condition d'etre epure par un gout que le
peuple ne peut pas avoir, ce gout lui-meme etant le resultat de certains
vices de civilisation qui ne sont pas ceux du peuple. Le peuple n'a donc
pas d'esprit, selon moi. Il a mieux que cela: il a la poesie, il a le
genie. Chez lui la forme n'est rien, il n'use pas son cerveau a la
chercher; il la prend comme elle lui vient. Mais ses pensees sont
pleines de grandeur et de puissance, parce qu'elles reposent sur un
principe de justice eternelle, meconnu par les societes et conserve au
fond de son coeur. Quand ce principe se fait jour, quelle qu'en soit
l'expression, elle saisit et foudroie comme l'eclair de la verite
divine.
XXII.
Horace parla beaucoup. Emporte comme il l'etait toujours par le feu de
la discussion, il defendit ses auteurs romantiques, qu'on lui contestait
en masse et en detail. Il rompit des lances pour tous, et fut vivement
soutenu par la vicomtesse de Chailly, qui se piquait d'eclectisme en
matiere d'art et de belles-lettres. Il faut avouer que les adversaires
furent bien faibles, et je ne concevais pas comment Horace pouvait
perdre son temps et ses paroles a leur tenir tete.
La vieille comtesse, qui passait et repassait avec ses amis dans une
allee voisine, m'appela d'un signe.
[Illustration: La vicomtesse Leonie de Chailly.]
"Tu as un ami bien bruyant, me dit-elle: qu'a-t-il donc a tempeter de la
sorte? Est-ce que ma belle-fille le raille? Prends garde a lui. Tu sais
qu'elle est fort cruelle, et qu'elle abuse de son esprit avec ceux qui
n'en ont pas.
--Rassurez-vous, chere maman, lui repondis-je (j'avais, depuis mon
enfance, l'habitude de l'appeler ainsi), il a de l'esprit tout autant
qu'il lui en faut pour se defendre, et meme pour se faire gouter.
--Oui-da! m'aurais-tu amene un homme dangereux? Il est fort bien de sa
personne, et il me parait fort romantique. Heureusement Leonie n'est pas
romanesque. Mais appelle-le un peu ici, que je jouisse a mon tour de son
esprit."
J'arrachai Horace (a son grand deplaisir ) a l'auditoire qu'il avait
captive, et je restai un peu derriere la charmille pour ecouter ce qu'on
dirait de lui.
"C'est un drole de corps que ce petit monsieur-la, dit la vicomtesse en
reprenant le jeu de son eventail.
--C'est un fat, repondit le poete legitimiste.
--Un fat! c'est etre bien severe, dit le vieux marquis de Vernes; je
crois que _presomptueux_
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