mme vetue a la hate, les cheveux
encore dans le desordre du sommeil et le corps enveloppe d'un grand
chale, s'avanca vers moi, pale et tremblante. Je reculai de surprise,
c'etait madame Poisson.
VIII.
Elle s'inclina devant moi, presque jusqu'a mettre un genou en terre; et
dans cette attitude douloureuse, avec sa paleur, ses cheveux epars, et
ses beaux bras nus sortant de son chale ecarlate, elle eut desarme un
tigre; mais j'etais si heureux de voir Eugenie justifiee, que j'eusse
accueilli mon affreuse portiere avec autant de courtoisie que la belle
Laure. Je la relevai, je la fis asseoir, je lui demandai pardon d'etre
rentre si matin, n'osant pas encore demander pardon, ni meme jeter un
regard a ma pauvre maitresse.
"Je suis bien malheureuse et bien coupable envers vous, me dit Laure
encore tout emue. J'ai failli amener un chagrin dans votre interieur.
C'est ma faute, j'aurais du vous prevenir, j'aurais du refuser la
genereuse hospitalite d'Eugenie. Ah! Monsieur, ne faites de reproche
qu'a moi: Eugenie est un ange. Elle vous aime comme vous le meritez,
comme je voudrais avoir ete aimee, ne fut-ce qu'un jour dans ma vie.
Elle vous dira tout, Monsieur; elle vous racontera mes malheurs et ma
faute, ma faute, qui n'est pas celle que vous croyez, mais qui est plus
grave mille fois, et dont je ferai penitence toute ma vie."
Les larmes lui couperent la parole. Je pris ses deux mains avec
attendrissement. Je ne sais ce que je lui dis pour la rassurer et la
consoler; mais elle y parut sensible, et, m'entrainant vers Eugenie,
elle hata avec une grace toute feminine l'explosion de mon remords et le
pardon de ma chere compagne. Je le recus a genoux. Pour toute reponse,
celle-ci attira Laure dans mes bras, et me dit: "Soyez son frere, et
promettez-moi de la proteger et de l'assister comme si elle etait ma
soeur et la votre. Voyez que je ne suis pas jalouse, moi! Et pourtant
combien elle est plus belle, plus instruite, et plus faite que moi pour
vous tourner la tete!"
Le dejeuner, modeste comme a l'ordinaire, mais plein de cordialite et
meme d'un enjouement attendri, fut suivi des arrangements que prit
Eugenie pour installer Laure dans l'appartement qui donnait sur notre
palier, et que le portier n'avait pu mettre encore a sa disposition,
quoique a mon insu il fut retenu a cet effet depuis plusieurs jours.
Tandis que notre nouvelle voisine s'etablissait avec une certaine
lenteur melancolique dans ce mysterieux asile, s
|