s.
--Du respect! Est-il possible que vous me respectiez, vous! Vous ne
croyez donc pas que je me sois vendu?
--Non! non! s'ecria Paul avec force, je crois que vous avez aime cet
homme haissable; et ou est donc le crime? Vous ne l'avez pas connu, vous
avez cru a son amour; vous avez ete trompee comme tant d'autres. Ah!
Monsieur, ajouta-t-il en s'adressant a moi, vous ne pensez pas non plus
que Marthe ait jamais pu se vendre, n'est-ce pas?"
J'etais un peu gene dans ma reponse. Depuis quelques jours que nous
connaissions la situation de Marthe a l'egard de M. Poisson, nous nous
etions deja demande plusieurs fois, Horace et moi, comment une creature
si belle et si intelligente avait pu s'eprendre du _Minotaure_. Parfois
nous nous etions dit que cet homme, si lourd et si grossier, avait
pu avoir, quelques annees auparavant, de la jeunesse et une certaine
beaute; que ce profil de Vitellius, maintenant odieux, pouvait avoir eu
du caractere avant l'invasion subite et desordonnee de l'embonpoint.
Mais parfois aussi nous nous etions arretes a l'idee que des bijoux et
des promesses, l'appat des parures et l'espoir d'une vie nonchalante
avaient enivre cette enfant avant que l'intelligence et le coeur fussent
developpes en elle. Enfin nous pensions que son histoire pourrait bien
ressembler a celle de toutes les filles seduites que les besoins de la
vanite et les suggestions de la paresse precipitent dans le mal.
[Illustration: Chut! ne faites pas de bruit!]
Malgre mon empressement a la rassurer, Marthe vit ce qui se passait en
moi. Elle avait besoin de se justifier.
"Ecoutez, dit-elle, je suis bien coupable, mais pas autant que je le
parais. Mon pere etait un ouvrier pauvre et chagrin, qui cherchait dans
le vin, comme tant d'autres, l'oubli de ses maux et de ses inquietudes.
Vous ne savez pas ce que c'est que le peuple, Monsieur! non, vous ne le
savez pas! C'est dans le peuple qu'il y a les plus grandes vertus et les
plus grands vices. Il y a la des hommes comme lui (et elle posait sa
main sur le bras d'Arsene), et il y a aussi des hommes dont la vie
semble livree a l'esprit du mal. Une fureur sombre les devore,
un desespoir profond de leur condition alimente en eux une rage
continuelle. Mon pere etait de ceux-la. Il se plaignait sans cesse, avec
des jurements et des imprecations, de l'inegalite des fortunes et de
l'injustice du sort, Il n'etait pas ne paresseux; mais il l'etait devenu
par decouragement, et la misere reg
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