t, serree; mais ces courts
essais, qu'on aurait pu appeler des fragments de fragments, n'eussent
ete, dans l'oeuvre de ses modeles, que des appendices servant d'ornement
a des pensees individuelles, et cette individualite, Horace ne l'avait
pas. S'il voulait emettre l'idee, on etait choque (et il l'etait
lui-meme) du plagiat manifeste, car cette idee n'etait point a lui: elle
etait a eux; elle etait a tout le monde. Pour y mettre son cachet, il
eut fallu qu'il la portat dans sa conscience et dans son coeur, assez
profondement et assez longtemps pour qu'elle y subit une modification
particuliere; car aucune intelligence n'est identique a une autre
intelligence, et les memes causes ne produisent jamais les memes
effets dans l'une et dans l'autre; aussi plusieurs maitres peuvent-ils
s'essayer simultanement a rendre un meme fait ou un meme sentiment, a
traiter un meme sujet, sans le moindre danger de se rencontrer. Mais
pour qui n'a point subi cette cause, pour qui n'a pas vu ce fait ni
eprouve ce sentiment par lui-meme, l'individualite, l'originalite, sont
impossibles. Aussi se passa-t-il bien des jours encore sans qu'Horace
fut plus avance qu'a la premiere heure. Je dois dire qu'il y usa en pure
perte le peu de volonte qu'il avait amassee pour sortir de l'inaction.
Quand il fut harasse de fatigue, abreuve de degout, presque malade, il
sortit de sa retraite, et se repandit de nouveau au dehors, cherchant
des distractions et voulant meme essayer, disait-il, des passions, pour
voir s'il reveillerait par la sa muse engourdie.
Cette resolution me fit trembler pour lui. S'embarquer sans but sur
cette mer orageuse, sans aucune experience pour se preserver, c'est
risquer plus qu'on ne pense. Il s'etait aventure de meme dans la
carriere litteraire; mais comme la il ne devait pas trouver de complice,
le seul desastre qu'il eut eprouve, c'etait un peu d'encre et de temps
perdu. Mais qu'allait-il devenir, aveugle lui-meme, sous la conduite de
l'_aveugle dieu?_
Son naufrage ne fut pas aussi prompt que je le craignais. En fait de
passions, ne se perd pas qui veut. Horace n'etait point ne passionne. Sa
personnalite avait pris de telles dimensions dans son cerveau, qu'aucune
tentation n'etait digne de lui. Il lui eut fallu rencontrer des etres
sublimes pour eveiller son enthousiasme; et, en attendant, il se
preferait, avec quelque raison, a tous les etres vulgaires avec lesquels
il pouvait etablir des rapports. Il n'y avait pas a crai
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