dans les termes d'une amitie fraternelle. Marthe ignorait le devouement
de ce jeune homme; elle ne savait pas a quelles esperances il avait du
renoncer pour s'attacher a son sort. Il ne lui avait pas cache qu'il eut
etudie la peinture; mais il ne lui avait pas dit de quelles admirables
facultes la nature l'avait doue a cet egard; et d'ailleurs il attribuait
son renoncement a la necessite de faire venir ses soeurs et de les
soutenir. Marthe ne possedait rien, et n'avait rien voulu emporter
de chez M. Poisson. Elle comptait travailler, et les avances qu'elle
acceptait, elle ne les attribuait qu'a Eugenie. Elle n'eut pas fui,
appuyee sur le bras d'Arsene, si elle eut cru lui devoir d'autres
services que de simples demarches aupres d'Eugenie, et un asile aupres
de ses soeurs, qu'elle comptait bien indemniser en payant sa part des
depenses. En se devouant ainsi, Paul avait brule ses vaisseaux, et il
s'etait ote le droit de lui jamais dire: "Voila ce que j'ai fait pour
vous;" car, dans l'apparence, il n'avait fait pour elle que ce qui est
permis a la plus simple amitie.
Le pauvre enfant etait si accable d'ouvrage, et tenu de si pres par son
patron, qu'il ne put aller recevoir ses soeurs a la diligence. Marthe
ne sortait pas, dans la crainte d'etre rencontree par quelqu'un qui put
mettre M. Poisson sur ses traces. Nous nous chargeames, Eugenie et moi,
d'aller aider au debarquement de Louison et de Suzanne, nos futures
voisines. Louison, l'ainee, etait une beaute de village, un peu
virago, ayant la voix haute, l'humeur chatouilleuse et l'habitude du
commandement. Elle avait contracte cette habitude chez sa vieille tante
infirme, qui l'ecoutait comme un oracle, et lui laissait la gouverne
de cinq ou six apprenties couturieres, parmi lesquelles la jeune soeur
Suzon n'etait qu'une puissance secondaire, une sorte de ministre
dirigeant les travaux, mais obeissant a la soeur ainee, sans appel.
Aussi Louison avait-elle des airs de reine, et l'insatiable besoin de
regner qui devore les souverains.
Suzanne, sans etre belle, etait agreable et d'une organisation plus
distinguee que celle de Louise. Il etait facile de voir qu'elle etait
capable de comprendre tout ce que Louise ne comprendrait jamais. Mais
Louise etait, au-dessus et autour d'elle, comme une cloche de plomb,
pour l'empecher de se repandre au dehors et d'en recevoir quelque
influence.
Elles accueillirent nos avances, l'une avec surprise et timidite,
l'autre avec une ra
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