ait deja remplacee, et ne lui causait plus
de crainte. Elle prenait avec nous l'air de la campagne le dimanche; et
sa sante, longtemps alteree, se consolidait par le regime doux et
sain que je lui prescrivais, et qu'elle observait avec une absence
de caprices et de revoltes rare chez une femme nerveuse. Sa presence
attirait bien chez moi quelques amis de plus que par le passe; Eugenie
se chargeait d'econduire ceux dont la sympathie etait trop visiblement
improvisee. Quant aux anciens, nous leur pardonnions d'etre un peu plus
assidus que de coutume. Ces petites reunions, ou des etudiants hardis
et espiegles dans la rue prenaient tout a coup, sous nos toits, des
manieres polies, une gaiete chaste et un langage sense, pour complaire
a d'honnetes filles et a des femmes aimables, avaient quelque chose
d'utile et de beau en soi-meme. Il aurait fallu avoir le coeur froid et
de l'esprit farouche pour ne pas gouter, dans cet essai de sociabilite
bienveillante et pure, un plaisir d'une certaine elevation. Tous s'en
trouvaient bien. Horace y devenait moins personnel et moins apre. Nos
jeunes gens y prenaient l'idee et le gout de moeurs plus douces que
celles dont ailleurs ils recevaient l'exemple. Marthe y oubliait
l'horreur de son passe; Suzanne y riait de bon coeur, et s'y faisait un
esprit plus juste que celui de la province. Louison y progressait moins
que les autres; mais elle y acquerait la puissance de contenir sa rude
franchise, et, quoique toujours farouche dans son rigorisme, elle
n'etait pas fachee d'etre traitee comme une dame par des jeunes gens
dont elle s'exagerait peut-etre beaucoup l'elegance et la distinction.
Insensiblement Horace trouva un grand charme dans la societe de Marthe.
Ne pouvant pas savoir si elle avait jamais recu sa lettre, il eut
l'esprit de se conduire comme un homme qui ne veut pas se faire
repousser deux fois. Il lui temoigna une sorte de sympathie devouee
qui pouvait devenir de l'amour si on n'en arretait pas brusquement le
progres, et qui, en cas de resistance soutenue, etait une reparation de
bon gout pour le passe.
Cette situation est la plus favorable au developpement de la passion. On
y franchit de grandes distances d'une maniere insensible. Quoique
mon jeune ami ne fut dispose, ni par nature, ni par education, aux
delicatesses de l'amour, il y fut initie par le respect dont il ne put
se defendre. Un jour, il parla d'instinct le langage de la passion, et
fut eloquent. C'etait la premie
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