irreprochable, moyennant
quoi je sortais environ une fois par mois de ma retraite; j'allais voir
les anciens amis de ma famille, et j'etais toujours recu a bras
ouverts, quoiqu'on sut fort bien que je ne me piquais pas d'un ardent
legitimisme. Le mot de l'enigme, et pardonnez-moi, cher lecteur,
de n'avoir pas songe plus tot a vous le dire, c'est que j'etais ne
gentilhomme et de tres-bonne souche.
Fils unique et legitime du comte de Mont..., ruine, avant de naitre, par
les revolutions, j'avais ete eleve par mon respectable pere, l'homme le
plus juste, le plus droit et le plus sage que j'aie jamais connu. Il
m'avait enseigne lui-meme tout ce qu'on enseigne au college; et, a
dix-sept ans, j'avais pu aller chercher a Paris avec lui mon diplome
de bachelier es-lettres. Puis nous etions revenus ensemble dans notre
modeste maison de province, et la il m'avait dit:--Tu vois que je suis
attaque d'infirmites tres-graves; il est possible qu'elles m'emportent
plus tot que nous ne pensons, ou du moins qu'elles affaiblissent ma
memoire, ma volonte et mon jugement. Je veux employer ce peu de lucidite
qui me reste a causer serieusement avec toi de ton avenir, et t'aider a
fixer tes idees.
"Quoi qu'en disent les gens de notre classe qui ne peuvent se consoler
de la perte du regime de la devotion et de la galanterie, le siecle est
en progres et la France marche vers des doctrines democratiques que
je trouve de plus en plus equitables et providentielles, a mesure que
j'approche du terme ou je retournerai nu vers celui qui m'a envoye nu
sur la terre. Je t'ai eleve dans le sentiment religieux de l'egalite
des droits entre tous les hommes, et je regarde ce sentiment comme
le complement historique et necessaire du principe de la charite
chretienne. Il sera bon que tu pratiques cette egalite en travaillant,
selon tes forces et tes lumieres, pour acquerir et maintenir ta place
dans la societe. Je ne desire point pour toi que cette place soit
brillante. Je te la desire independante et honorable. Le mince heritage
que je te laisserai ne servira guere qu'a te donner les moyens
d'acquerir une education speciale; apres quoi tu te soutiendras et tu
soutiendras ta famille, si tu en as une, et si cette education a porte
ses fruits. Je sais bien que les nobles de notre entourage me blameront
beaucoup, dans les commencements, de donner a mon fils une profession,
au lieu de le placer sous la protection d'un gouvernement. Mais un jour
n'est pas loin pe
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