inces, de
lui parler d'amour et d'enlevement. Marthe l'avait a peine ecoute. Des
la nuit suivante il devait repartir, et la nuit suivante, au moment
ou il repartait, il vit une femme echevelee courir sur ses traces et
s'elancer dans sa voiture. C'etait Marthe qui fuyait, nouvelle Beatrix,
les violences sinistres d'un nouveau Cenci. Elle aurait pu, direz-vous,
prendre un autre parti, chercher un refuge ailleurs, invoquer la
protection des lois; mais dans ce cas-la, il fallait deshonorer son
pere, affronter la honte d'un de ces proces scandaleux d'ou l'innocent
sort parfois aussi souille dans l'opinion que le coupable. Marthe crut
avoir trouve un ami, un protecteur, un epoux meme; car le voyageur,
voyant sa simplicite d'enfant, lui avait parle de mariage. Elle crut
pouvoir l'aimer par reconnaissance, et, meme apres qu'il l'eut trompee,
elle crut lui devoir encore une sorte de gratitude.
--Et puis, reprit Marthe, mes premiers pas dans la vie avaient ete
marques de scenes si terribles et de dangers si affreux, que je n'avais
plus le droit d'etre si difficile. J'avais change de tyran. Mais
le second, avec ses jalousies et ses emportements, avait une sorte
d'education qui me le faisait paraitre bien moins rude que le premier.
Tout est relatif. Cet homme, que vous trouvez si grossier, et que
moi-meme j'ai trouve tel a mesure que j'ai eu des objets de comparaison
autour de moi, me paraissait bon, sincere, dans les commencements. La
douceur exceptionnelle que j'avais acquise dans une vie si contrainte
et si dure, encouragea et poussa rapidement a l'exces les instincts
despotiques de mon nouveau maitre. Je les supportai avec une resignation
que n'auraient pas eue des femmes mieux elevees. J'etais en quelque
sorte blasee sur les menaces et les injures. Je revais toujours
l'independance, mais je ne la croyais plus possible pour moi. J'etais
une ame brisee; je ne sentais plus en moi l'energie necessaire a un
effort quelconque, et sans l'amitie, les conseils et l'aide d'Arsene, je
ne l'aurais jamais eue. Tout ce qui ressemblait a des offres d'amour,
les simples hommages de la galanterie, ne me causaient qu'effroi et
tristesse. Il me fallait plus qu'un amant, il me fallait un ami: je l'ai
trouve, et maintenant je m'etonne d'avoir si longtemps souffert sans
espoir.
--Et maintenant vous serez heureuse, lui dis-je; car vous ne trouverez
autour de vous que tendresse, devouement et deference.
--Oh! de votre part et de celle d'Eugenie
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