serait un mot plus juste. Mais c'est un jeune
homme de beaucoup de merite, qui pourra devenir homme d'esprit s'il voit
le monde.
--Pour de l'esprit, il en a, reprit la vicomtesse.
--Parbleu! il en a a revendre, dit le marquis; mais il manque de tact et
de mesure.
--Il m'amusait, reprit-elle; pourquoi donc maman s'en est-elle emparee?
Vous ne vous prononcez pas, monsieur de Meilleraie? dit-elle a un jeune
dandy qu'elle avait l'air de subjuguer.
--Mon Dieu! Madame, repondit celui-ci avec une aigreur froide, vous vous
prononcez tellement vous-meme, que je ne puis que baisser la tete et
dire _amen_."
La vicomtesse Leonie de Chailly n'avait jamais ete belle; mais elle
voulait absolument le paraitre, et a force d'art elle se faisait passer
pour jolie femme. Du moins elle en avait tous les airs, tout l'aplomb,
toutes les allures et tous les privileges. Elle avait de beaux yeux
verts d'une expression changeante qui pouvait, non charmer, mais
inquieter et intimider. Sa maigreur etait effrayante et ses dents
problematiques; mais elle avait des cheveux superbes, toujours arranges
avec un soin et un gout remarquables. Sa main etait longue et seche,
mais blanche comme l'albatre, et chargee de bagues de tous les pays du
monde. Elle possedait une certaine grace qui imposait a beaucoup de
gens. Enfin, elle avait ce qu'on peut appeler une beaute artificielle.
La vicomtesse de Chailly n'avait jamais eu d'esprit; mais elle voulait
absolument en avoir, et elle faisait croire qu'elle en avait. Elle
disait le dernier des lieux communs avec une distinction parfaite, et le
plus absurde des paradoxes avec un calme stupefiant. Et puis elle avait
un procede infaillible pour s'emparer de l'admiration et des hommages:
elle etait d'une flagornerie impudente avec tous ceux qu'elle voulait
s'attacher, d'une causticite impitoyable pour tous ceux qu'elle voulait
leur sacrifier. Froide et moqueuse, elle jouait l'enthousiasme et la
sympathie avec assez d'art pour captiver de bons esprits accessibles
a un peu de vanite. Elle se piquait de savoir, d'erudition et
d'excentricite. Elle avait lu un peu de tout, meme de la politique et de
la philosophie; et vraiment c'etait curieux de l'entendre repeter, comme
venant d'elle, a des ignorants ce qu'elle avait appris le matin dans un
livre ou entendu dire la veille a quelque homme grave. Enfin, elle avait
ce qu'on peut appeler une intelligence artificielle.
La vicomtesse de Chailly etait issue d'une
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