la beaute est par elle-meme une
royaute veritable.
--Ce qui la distingue pour moi des autres teneuses de comptoir,
reprenait-il, c'est cette dignite froide, si differente de leurs
agaceries coquettes. En general, elles vous vendent leurs regards pour
un verre d'eau sucree; c'est a vous oter la soif pour toujours. Mais
celle-ci est, au milieu des hommages grossiers qui l'environnent, une
perle fine dans le fumier; elle inspire vraiment une sorte de respect.
Si j'etais sur qu'elle ne fut pas bete, j'aurais presque envie d'en
devenir amoureux."
La vue de plusieurs jeunes gens qui, chaque jour, s'evertuaient a fixer
l'attention de la belle limonadiere, et qui eussent vraiment fait des
folies pour elle, acheva de piquer l'amour-propre d'Horace; mais il ne
convenait pas a tant d'orgueil de suivre la meme route que ces naifs
admirateurs. Il ne voulait pas etre confondu dans ce cortege: il lui
fallait, disait-il, emporter la place d'assaut au nez des assiegeants.
Il medita ses moyens, et jeta un soir une lettre passionnee sur le
comptoir; puis il resta jusqu'au lendemain sans se montrer, pensant que
cet air occupe, decourage ou dedaigneux, explique ensuite par lui selon
la circonstance, ferait un bon effet, par contraste avec l'obsession de
ses rivaux.
J'avais consenti a m'interesser a cette folie, persuade interieurement
qu'elle servirait de lecon a la naissante fatuite d'Horace, et qu'il
en serait pour ses frais d'eloquence epistolaire. Le lendemain je fus
occupe plus que de coutume, et nous nous donnames rendez-vous le soir au
cafe Poisson. La dame n'etait pas a son comptoir: Arsene remplissait a
lui seul les fonctions de maitre et de valet, et il etait si affaire,
qu'a toutes nos questions il ne repondit qu'un "je ne sais pas" jete en
courant d'un air d'indifference. M. Poisson ne paraissant pas davantage,
nous allions prendre le parti de nous retirer sans rien savoir, lorsque
Laraviniere, le _president des bousingots_, entra bruyamment au milieu
de sa joyeuse phalange.
J'ai lu quelque part une definition assez etendue de l'_etudiant_, qui
n'est certainement pas faite sans talent, mais qui ne m'a point paru
exacte. L'etudiant y est trop rabaisse, je dirai plus, trop degrade;
il y joue un role bas et grossier qui vraiment n'est pas le sien.
L'etudiant a plus de travers et de ridicules que de vices; et quand il
en a, ce sont des vices si peu enracines, qu'il lui suffit d'avoir subi
ses examens et repasse le seuil du
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