l'on veut trouver encore quelque
chose qui y ressemble, c'est dans les coulisses de certains theatres ou
dans certains ateliers de peinture qu'il faut aller la chercher. La,
vous entendez un dialogue plus trivial, mais aussi rapide, aussi enjoue,
et beaucoup plus colore que celui de l'ancienne bonne compagnie. Cela
seul pourra donner a un etranger quelque idee de la verve et de la
moquerie dont notre nation a eu si longtemps le monopole. Pour ne
parler que de l'esprit qui se consomme abondamment dans les mansardes
d'etudiant ou d'artiste, je puis bien dire qu'on en debite en une heure,
entre jeunes gens animes par la fumee des cigares, de quoi defrayer tous
les salons du faubourg Saint-Germain pendant un mois. Il faut l'avoir
entendu pour le croire. Moi qui, sans prevention et sans parti pris,
passais frequemment d'une societe a l'autre, j'etais confondu de la
difference, et je m'etonnais souvent de voir certain bon mot faire le
tour d'un salon comme un joyau precieux qu'on se passait de main en
main, qui avait tant traine chez nous que personne n'eut voulu le
ramasser. Je ne parle pas de la bourgeoisie en general: elle a bien
prouve qu'elle avait plus d'esprit de conduite que la noblesse; quant a
de l'esprit proprement dit, elle n'en a qu'a la seconde generation.
Les parvenus de ce temps-ci ont pousse a l'ombre de l'industrie, dans
l'atmosphere pesante des usines, l'ame toute preoccupee de l'amour du
gain, et toute paralysee par une ambition egoiste. Mais leurs enfants,
eleves dans les ecoles publiques, avec ceux de la petite bourgeoisie,
qui, a defaut d'argent, veut parvenir, elle aussi, par les voies de
l'intelligence, sont en general incomparablement plus cultives,
plus vifs et plus fins que les heritiers etioles de l'aristocratie
nobiliaire. Ces malheureux jeunes gens, hebetes par des precepteurs
dont on enchaine la liberte intellectuelle, a force de prescriptions
religieuses et politiques, sont rarement intelligents, et jamais
instruits. L'absence de cour, la perte des places et des emplois, le
depit cause par les triomphes d'une aristocratie nouvelle, achevent de
les effacer; et leur role, qui commence pourtant a devenir meilleur a
mesure qu'ils le comprennent et l'acceptent, etait, a l'epoque de mon
recit, le plus triste qu'il y eut en France.
[Illustration: Horace... se livrait a des essais litteraires.]
Je n'ai rien dit du peuple, et le peuple francais, surtout celui des
grandes villes, passe pour infinime
|