s, je l'avoue) nous appelions, sans dedain toutefois,
_etudiants d'estaminet_. Elle se composait invariablement de la plupart
des etudiants de premiere annee, enfants fraichement arrives de
province, a qui Paris faisait tourner la tete, et qui croyaient tout
d'un coup se faire hommes en fumant a se rendre malades, et en battant
le pave du matin au soir, la casquette sur l'oreille; car l'etudiant de
premiere annee a rarement un chapeau. Des la seconde annee, l'etudiant
en general devient plus grave et plus naturel. Il est tout a fait retire
de ce genre de vie, a la troisieme. C'est alors qu'il va au parterre des
Italiens, et qu'il commence a s'habiller comme tout le monde. Mais un
certain nombre de jeunes gens reste attache a ces habitudes de flanerie,
de billard, d'interminables fumeries a l'estaminet, ou de promenade par
bandes bruyantes au jardin du Luxembourg. En un mot, ceux-la font, de la
recreation que les autres se permettent sobrement, le fond et l'habitude
de la vie. Il est tout naturel que leurs manieres, leurs idees, et
jusqu'a leurs traits, au lieu de se former, restent dans une sorte
d'enfance vagabonde et debraillee, dans laquelle il faut se garder de
les encourager, quoiqu'elle ait certainement ses douceurs et meme sa
poesie. Ceux-la se trouvent toujours naturellement tout portes aux
emeutes. Les plus jeunes y vont pourvoir, d'autres y vont pour agir; et,
dans ce temps-la, presque toujours tous s'y jetaient un instant et s'en
retiraient vite, apres avoir donne et recu quelques bons coups. Cela ne
changeait pas la face des affaires, et la seule modification que ces
tentatives aient apportee, c'est un redoublement de frayeur chez les
boutiquiers, et de cruaute brutale chez les agents de police. Mais aucun
de ceux qui ont si legerement trouble l'ordre public dans ce temps-la
ne doit rougir, a l'heure qu'il est, d'avoir eu quelques jours de
chaleureuse jeunesse. Quand la jeunesse ne peut manifester ce qu'elle
a de grand et de courageux dans le coeur que par des attentats a la
societe, il faut que la societe soit bien mauvaise!
On les appelait alors les _bousingots_, a cause du chapeau marin de cuir
verni qu'ils avaient adopte pour signe de ralliement. Ils porterent
ensuite une coiffure ecarlate en forme de bonnet militaire, avec un
velours noir autour. Designes encore a la police, et attaques dans la
rue par les mouchards, ils adopterent le chapeau gris; mais ils n'en
furent pas moins traques et maltraites. O
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