1: _Souvenirs de Mme de Caylus._]
Cependant, malgre toutes les distractions de la cour, la dauphine se
laissait envahir par une invincible tristesse. Elle etouffait dans cette
atmosphere d'intrigues, d'agitation et de bruyants plaisirs. Degoutee de
ce "pays ou les joies sont visibles et les chagrins caches, mais reels",
ou "l'empressement pour les spectacles, les eclats et les applaudissements
aux theatres de Moliere et d'Arlequin, les repas, la chasse, les ballets,
les carrousels" couvrent tant d'inquietudes et de craintes, elle trouvait,
comme La Bruyere, "qu'un esprit sain puise a la cour le gout de la
solitude et de la retraite."
Malgre toutes ses prevenances et toutes ses attentions, Louis XIV ne
parvint pas a lui faire aimer le monde, et elle ne put se decider a tenir
un cercle de courtisans. Elle passait tristement sa vie a Versailles dans
les petites pieces contigues a ses appartements, en n'ayant pour toute
compagnie qu'une femme de chambre allemande, la Bessola, que la princesse
Palatine represente sous des traits odieux et qui, au dire de Mme de
Caylus, n'avait rien de mauvais. Toutefois on l'accusait de tenir la
dauphine en chartre privee et de l'empecher de repondre aux attentions
gracieuses du roi.
Le dauphin lui-meme, fatigue du perpetuel tete-a-tete de sa femme et de
cette Bessola qui se parlaient toujours allemand, langue qu'il ne
comprenait point, chercha ailleurs les distractions qui lui manquaient
dans son interieur. Soit timidite, soit defiance d'elle-meme, la dauphine
n'essaya pas de lutter pour conserver un coeur qui lui echappait et
accepta son sort avec une resignation douloureuse. Le dauphin prit
l'habitude de passer une partie de ses journees et de ses soirees entre
Mlle de Rambures et la spirituelle princesse de Conti; la dauphine
s'enferma de plus en plus dans la solitude, d'ou elle ne voulait sortir a
aucun prix, et elle finit par etre abandonnee de toute la cour et meme du
roi, qui desespera de la consoler.
Mme de Caylus le remarque avec beaucoup de raison: "Peut-etre que les
bonnes qualites de cette princesse contribuerent a son isolement. Ennemie
de la medisance et de la moquerie, elle ne pouvait supporter ni comprendre
la raillerie et la malignite du style de la cour, d'autant moins qu'elle
n'en entendait pas les finesses." Mme de Caylus ajoute cette judicieuse
observation: "J'ai vu les etrangers, ceux meme dont l'esprit paraissait le
plus tourne aux manieres francaises, quelque
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