, comme dit Racine, devient l'empressement de toute la cour. La
faveur d'une invitation est plus enviee, plus difficile a obtenir qu'un
voyage a Marly. Louis XIV entre le premier dans la salle, et il se tient
debout, la canne a la main, sur le seuil de la porte, jusqu'a ce que tous
les invites aient penetre dans l'enceinte. Mme de Sevigne, admise a la
representation du 19 fevrier 1689, ne se possede pas de joie. Elle a pour
voisin le marechal de Bellefonds, a qui elle communique tout bas ses
impressions enthousiastes. Le marechal se leve dans un entr'acte et va
dire au roi combien il est content. "Je suis aupres d'une dame,
ajoute-t-il, qui est bien digne d'avoir vu _Esther_."
A la fin de la piece, Louis XIV adresse quelques paroles a plusieurs des
spectateurs. Il s'arrete devant Mme de Sevigne et lui parle avec
bienveillance. La marquise, toute fiere d'un tel honneur, a mentionne
cette conversation dans une de ses lettres:
"Le roi me dit: Madame, je suis assure que vous avez ete contente. Racine
a beaucoup d'esprit.--Moi, sans m'etonner, je reponds:--Sire, il en a
beaucoup; mais, en verite, ces jeunes personnes en ont beaucoup aussi;
elles entrent dans le sujet, comme si elles n'avaient jamais fait autre
chose.--
Ah! pour cela, il est vrai.--Et puis Sa Majeste s'en alla et me laissa
l'objet de l'envie."
Ce dernier mot n'est-il pas caracteristique? La femme la plus spirituelle
du royaume est ivre de joie parce que le roi lui a parle. Quel prestige
que celui de ce monarque incomparable, dont la moindre marque d'attention
faisait l'objet de l'envie de toute la cour!
_Esther_ avait eu trop de succes. Soit par piete, soit par jalousie, on ne
tarda pas a critiquer ces representations qui avaient ete si brillantes.
Il fallait bien, bon gre malgre, reconnaitre le genie du poete, le
talent des actrices. La critique porta sur d'autres points. On dit que ce
melange de cloitre et de theatre n'etait pas une bonne chose; que
l'amour-propre desjeunes filles serait surexcite par de pareils
divertissements. Bourdaloue et Bossuet avaient assiste aux
representations, comme pour les approuver par leur presence. Mais le
nouveau directeur de Mme de Maintenon, Godet-Desmaretz, eveque de
Chartres, se prononca contre ces fastueuses exhibitions des demoiselles
de Saint-Cyr. Elles furent donc supprimees, et _Athalie_, commandee apres
le succes d'_Esther_ et deja apprise par les demoiselles de Saint-Cyr,
fut jouee, en 1690, sans pompe,
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