etter d'etre, pour ainsi dire, le pretexte de la perte de ma patrie.
Je ne puis voir de sang-froid detruire d'un seul coup, dans ce pauvre
Manheim, tout ce qui a coute tant de soins et de peines au feu
prince-electeur mon pere. Oui, quand je songea tout ce qu'on a fait
sauter, cela me remplit d'une telle horreur, que chaque nuit, aussitot que
je commence a m'endormir, il me semble etre a Heidelberg ou a Manheim, et
voir les ravages qu'on y a commis. Je me reveille alors en sursaut, et je
suis plus de deux heures sans pouvoir me rendormir. Je me represente
comment tout etait de mon temps et dans quel etat on l'a mis aujourd'hui,
et je considere aussi dans quel etat je suis moi-meme, et je ne puis
m'empecher de pleurer a chaudes larmes[1]."
[Note 1: Lettre du 20 mars 1689.]
Dans cette cour si nombreuse et si brillante, la princesse ne trouvait
personne avec qui elle sympathisat. Tout l'offusquait, tout l'irritait;
seule la figure du roi, qu'elle appelait le "grand homme", non sans une
pointe d'ironie, lui semblait majestueuse, et encore trouvait-elle
beaucoup de taches au "soleil".
Son interieur n'etait pas pour elle un sujet de consolation. Elle ne
pardonnait pas a son mari d'etre sans cesse occupe de futilites et de
mascarades, ni surtout de s'entourer d'hommes accuses d'avoir assassine sa
premiere femme, la belle et poetique Henriette d'Angleterre. Elle
souffrait au contact de ce caractere faible, timide, gouverne par des
favoris et souvent meme malmene par eux. Une de ses lettres, ecrite en
1696, contient ce curieux passage: "Monsieur dit hautement, et il ne l'a
cache ni a sa fille ni a moi, que, comme il commence a se faire vieux, il
n'a pas de temps a perdre, qu'il veut tout employer et ne rien epargner
pour s'amuser jusqu'a la fin, que ceux qui lui survivront verront a passer
le temps a leur guise, mais qu'il s'aime mieux que moi et ses enfants, et
qu'en consequence il veut, tant qu'il vivra, ne s'occuper que de lui, et
il le fait comme il le dit."
C'est ce prince que Saint-Simon depeint ainsi: "tracassier et incapable de
garder un secret, soupconneux, defiant, semant des noises dans sa cour
pour brouiller, pour savoir, souvent aussi pour s'amuser[1]."
[Note 1: Saint-Simon, _Memoires_.]
Madame n'est pas plus heureuse dans son fils, le futur Regent, que dans
son mari. Le jugement qu'elle portait sur ce fils, qui gatait a plaisir
les belles qualites dont il etait doue par la nature, justifiait celui de
Lo
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