sans theatre, sans decorations, sans
costume, dans la _classe bleue_, en la seule presence du roi, de Mme de
Maintenon et d'une dizaine de personnes.
Ce ne furent pas seulement les representations d'_Esther_ qu'on trouva
trop mondaines. La jeune femme qui s'y etait tant fait admirer, Mme de
Caylus, ne garda pas longtemps sa faveur a la cour. Elle avait trop
d'esprit, trop de gaiete, trop de liberte d'allures et de paroles, pour ne
pas s'attirer des disgraces. Cette jolie, cette spirituelle marquise, qui
n'avait pas encore vingt ans, comme beaucoup de ses contemporaines, se
partageait entre Dieu et le monde; mais, par malheur, la part du monde
etait de beaucoup la plus grande. Pour Mme de Caylus, les prieres
passaient apres les plaisirs. Son caractere mobile, malicieux,
superficiel, ne se pretait pas a l'austerite d'une devotion serieuse, et,
quand la cour prenait des attitudes un peu claustrales, elle s'y sentait
depaysee. Mariee a un homme sans merite et toujours en campagne ou a la
frontiere, Mme de Caylus fut, des le debut, livree a elle-meme. Aimant la
medisance, sinon la calomnie, ne craignant pas de provoquer une inimitie
pour le plaisir de dire un bon mot, habituee a la societe et aux malices
de la duchesse de Bourbon, qui, sans avoir tout l'esprit de sa mere, Mme
de Montespan, en avait les gouts satiriques, Mme de Caylus se moquait un
peu de tout. C'etait la un genre de passe-temps que Louis XIV ne
pardonnait guere. Elle avait eu l'imprudence de dire, en parlant de la
cour: "On s'ennuie si fort dans ce pays-ci, que c'est etre exilee que d'y
vivre."
Le roi la prit au mot et lui defendit de reparaitre dans "ce pays" ou l'on
s'ennuyait tant. Il la trouvait trop fine, trop perspicace, trop habile a
se servir de l'arme du ridicule, si meurtriere dans la main d'une jolie
femme. Il pensait meme que cette education futile ne faisait que
mediocrement honneur a Mme de Maintenon, et celle-ci n'avait pas interet a
laisser pres du roi une jeune femme qui aurait pu faire du tort a
Saint-Cyr. Aussi la disgrace de Mme de Caylus fut-elle de longue duree.
Pendant treize ans, la marquise resta eloignee de la cour et comme en
penitence. Elle n'acheta son pardon qu'a force de tenue, de soumission, de
piete. Mais ce pardon fut complet.
Le 10 fevrier 1707, elle, reparut a Versailles, au souper du roi, et recut
le meilleur accueil. Veuve depuis deux annees environ, elle n'avait que
trente-trois ans et ne songeait pas a se remarier
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