a comtesse demanda:
--Quelle heure est-il?
--Midi et demi.
--Oh! Allons vite dejeuner. La duchesse doit nous attendre chez
Ledoyen, ou elle m'a chargee de vous amener, si nous ne la retrouvions
pas dans les salles.
Le restaurant, au milieu d'un ilot d'arbres et d'arbustes, avait l'air
d'une ruche trop pleine et vibrante. Un bourdonnement confus de voix,
d'appels, de cliquetis de verres et d'assiettes voltigeait autour, en
sortait par toutes les fenetres et toutes les portes grandes ouvertes.
Les tables, pressees, entourees de gens en train de manger, etaient
repandues par longues files dans les chemins voisins, a droite et a
gauche du passage etroit ou les garcons couraient, assourdis, affoles,
tenant a bout de bras des plateaux charges de viandes, de poissons ou
de fruits.
Sous la galerie circulaire c'etait une telle multitude d'hommes et
de femmes qu'on eut dit une pate vivante. Tout cela riait, appelait,
buvait et mangeait, mis en gaite par les vins et inonde d'une de ces
joies qui tombent sur Paris, en certains jours, avec le soleil.
Un garcon fit monter la comtesse, Annette et Bertin dans le salon
reserve ou les attendait la duchesse.
En y entrant, le peintre apercut, a cote de sa tante, le marquis de
Farandal, empresse et souriant, tendant les bras pour recevoir les
ombrelles et les manteaux de la comtesse et de sa fille. Il en
ressentit un tel deplaisir, qu'il eut envie soudain, de dire des
choses irritantes et brutales.
La duchesse expliquait la rencontre de son neveu et le depart de
Musadieu emmene par le ministre des Beaux-Arts; et Bertin, a la pensee
que ce bellatre de marquis devait epouser Annette, qu'il etait venu
pour elle, qu'il la regardait deja comme destinee a sa couche,
s'enervait et se revoltait comme si on eut meconnu et viole ses
droits, des droits mysterieux et sacres.
Des qu'on fut a table, le marquis, place a cote de la jeune fille,
s'occupa d'elle avec cet air empresse des hommes autorises a faire
leur cour.
Il avait des regards curieux qui semblaient au peintre hardis et
investigateurs, des sourires presque tendres et satisfaits, une
galanterie familiere et officielle. Dans ses manieres et ses paroles
apparaissait deja quelque chose de decide comme l'annonce d'une
prochaine prise de possession.
La duchesse et la comtesse semblaient proteger et approuver cette
allure de pretendant, et avaient l'une pour l'autre des coups d'oeil
de complicite.
Aussitot le dejeuner
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