remarque que, pour analyser avec conscience et avec joie mes
sensations, il me faut a l'ordinaire un compagnon.
* * * * *
Je me rappelle les details et toute la physionomie de cette longue
seance que nous fimes, couches dans la brise purifiante et virile de
l'Ocean. Nos intelligences etaient lucides, tonifiees par le bel air,
soutenues par le the. J'ajouterai meme que Simon s'eloigna un instant
sous les roches fraiches, ce dont je le felicitai, en l'enviant, car la
nourriture et l'air des plages entravaient fort la regularite de nos
digestions, ou nous nous montrames toujours capricieux.
* * * * *
Le meme soir, vers onze heures, reunis aupres de nos femmes dans le
petit salon de notre frele villa, je disais a Simon, avec la franchise
un peu choquante des heures de nuit:
--Je t'avouerai que souvent je songeai a entrer en religion pour avoir
une vie tracee et aucune responsabilite de moi sur moi. Enferme dans ma
cellule, resigne a l'irreparable, je cultiverais et pousserais au
paroxysme certains dons d'enthousiasme et d'amertume que je possede et
qui sont mes delices. Je fus detourne de ce cher projet par la necessite
d'etre extremement energique pour l'executer. Meme je me suis arrete de
souhaiter franchement cette vie, car j'ai soupconne qu'elle deviendrait
vite une habitude et remplie de mesquineries: rires de seminaristes,
contacts de compagnons que je n'aurais pas choisis et parmi lesquels je
serais la minorite.
Nos femmes, en m'entendant, se mirent a blasphemer, par esprit
d'opposition, et a se frapper le front, pour signifier que je
deraisonnais.
--C'est etrange, repondit Simon, que je ne t'aie pas connu ce gout
pendant des annees. Je pensais: il est aimable, actif, changeant, toutes
les vertus de Paris, mais il ne sent rien hors de cette ville. Moi,
c'est la campagne, des chiens, une pipe et les notions abondantes et
froides de Spencer a debrouiller pendant six mois.
--Erreur! lui dis-je, tu t'y ennuyais. Nous avons l'un et l'autre vetu
un personnage. J'affectai en tous lieux, d'etre pareil aux autres, et je
ne m'interrompis jamais de les dedaigner secretement. Ce me fut toujours
une torture d'avoir la physionomie mobile et les yeux expressifs. Si tu
me vis, sous l'oeil des barbares, me preter a vingt groupes bruyants et
divers, c'etait pour qu'on me laissat le repit de me construire une
vision personnelle de l'univers, quelque reve a m
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