ellement j'aurais vingt-quatre
heures d'angoisse entre chacun de nos rendez-vous, avec le coup de
massue de l'abandon suspendu sur ma tete. Meme il faudrait qu'elle
arrivat un jour apres un long retard, et qu'elle prolongeat ainsi cette
heure d'agonie ou je guette son pas dans le petit escalier. Peut-etre
serait-ce le bonheur, car, dans une vie jamais distraite, une telle
tension des sentiments ferait l'unite. Ce serait une vie systematisee.
Ma maitresse, loin de moi, ne serait pas heureuse; elle subirait une
passion vigoureuse a laquelle parfois elle repondrait, tant est faible
la chair, mais en tournant son ame desesperee vers moi. Et j'aurais un
plaisir ineffable a lui expliquer avec des mots d'amertume et de
tendresse les pures doctrines du quietisme: "Qu'importe ce que fait
notre corps, si notre ame n'y consent pas!" Ah! Simon, combien
j'aimerais etre ce malheureux consolateur-la.
Elle serait pieuse. Elle et moi, malgre nos peches, nous baiserions la
robe de la Vierge. Et comme l'amour rend infiniment comprehensif, ou,
mieux encore, comme elle ne connaitrait rien de l'homme que je puis
paraitre au vulgaire, elle ne soupconnerait pas un instant ma bonne foi;
en sorte que mon ame indecise pourrait etre, aux plis de sa robe,
franchement religieuse.
Et comme Simon ne repondait pas, je repris, a cause de ce besoin naturel
de plaire qui me fait chercher toujours un acquiescement:
Elle serait jeune, belle fille, avec des genoux fins, un corps ayant une
ligne franche et un sourire imprevu infiniment touchant de sensualite
triste. Elle serait vetue d'etoffes souples, et un jour, a peine entree,
je la vois qui me desole de sanglots sans cause, en cachant contre moi
son fin visage.
* * * * *
Mon _Moi_ est jaloux comme une idole; il ne veut pas que je le delaisse.
Deja une lassitude et degout nerveux m'avaient averti quand je me
negligeais pour adorer des etrangers. J'avais compris que les
Sainte-Beuve et les Benjamin Constant ne valent que comme miroirs
grossissants pour certains details de mon ame. Une fois encore mes nerfs
me firent rentrer dans la bonne voie. Je poussai a l'extreme mon
ecoeurement, je le passionnai, en sorte qu'ennobli par l'exaltation, il
devint digne de moi-meme et me feconda.
Voici comment la chose se fit. J'examinais avec Simon notre desarroi et
je lui disais que la difficulte n'etait pas de trouver un bon systeme de
vie, mais de l'appliquer:
--Il faudra
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