ue, les crises passees, son intelligence
ne s'attarde pas.
Tu n'as pas d'yeux pour vivre sur un decor, tu ne te satisfais qu'avec
des idees, et tu te devorerais a t'interroger si l'on ne te jetait
precipitamment des systemes et des hommes a eprouver. C'est ainsi qu'il
me faut sans treve des emotions et de l'inconnu, tant j'ai vite epuise,
si varies qu'on les imagine, tous les aspects du plus beau jour du
monde.
Dans la suite, la secheresse t'envahit parce que tu etais trop
intelligent. Tu dedaignas de servir plus longtemps de mannequin a des
emotions que tu jugeais.
Heureux les pauvres d'esprit! comme ils ne se forment pas des idees
claires sur leurs emotions, ils se plaisent et ils s'honorent; mais toi,
tu t'irritais contre toi-meme, et tu n'etais pas plus satisfait de ta
vie intime que des evenements. Tu savais que tu vivais mediocrement,
sans imaginer comment il fallait vivre.
* * * * *
_Colloque_
Je t'aime, jeune homme de 1828. Le soir, apres une journee d'action,
j'ai senti, moi aussi, et jusqu'a souhaiter que soudain dix annees
m'eloignassent de ce jour, un triste mecontentement; je me suis desole
d'etre si different de ce que je pourrais etre, d'avoir par legerete
peine quelqu'un, et encore d'avoir donne a ma physionomie morale une
attitude irreparable.
Parfois, je suis touche de regrets en considerant les hommes forts et
simples. Et j'approuve ton Amaury auquel en imposait le caractere
poussant droit de M. de Couaen. Parfois, et bien qu'ils nous genent, il
nous arrive de frequenter des sectaires, pour surprendre le secret qui
les mit toute leur vie a l'aise envers eux-memes et envers les autres.
Mais, aussi fermes qu'eux dans les necessites, nous leur en voulons de
ce manque d'imagination qui les empeche de supposer un cas ou ils
pourraient ne plus se suffire, et qui les rend durs envers certaines
natures chancelantes, plus proches de notre coeur parce qu'elles
connaissent la joie douloureuse de se rabaisser.
Je crois que, dans l'intimite de ton coeur, tu haissais, au noble sens
et sans mauvais souhait, Cousin et Hugo. Mais tu as voulu penser et agir
selon qu'il etait _convenable_; et autant que te le permirent tes
mouvements instinctifs, tu cotoyas ces natures brutales dont tu
souffris.
Ainsi, peu a peu, tu quittais le service de ton ame pour te conformer a
la vision commune de l'univers. C'etait la necessite, as-tu dit, qui te
forcait a abdiquer ta per
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