ence. Soit! tu ne saurais aller plus vite que ta
race; tu ne peux etre aujourd'hui l'instant qu'elle eut ete dans
quelques generations; mais ce futur, qui est en elle a l'etat de desir
et qu'elle n'a plus l'energie de realiser, cultive-le, prends-en une
idee claire. Pourquoi toujours te complaire dans tes humiliations? Pose
devant toi ton pressentiment du meilleur, et que ce reve te soit un
univers, un refuge. Ces beautes qui sont encore imaginatives, tu peux
les habiter. Tu seras ton _Moi_ embelli: l'Esprit Triomphant, apres
avoir ete si longtemps l'Esprit Militant."
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LIVRE TROISIEME
L'EGLISE TRIOMPHANTE
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CHAPITRE VII
ACEDIA.----SEPARATION DANS LE MONASTERE
La brutalite du grand air, l'insomnie des nuits d'auberge sur des
oreillers inaccoutumes et cette lourde nourriture me donnerent une
fievre de fatigue. Au detour d'un chemin, la femme d'un cabaretier
demandait a mon voiturier: "Est-ce qu'il ne va pas mourir?" C'est pour
avoir eu le meme doute sur ma race que je paraissais epuise. La nuit,
surtout je m'agitais infiniment. Des l'aube, sous le cloitre, je me
promenais bien avant Simon, et la journee s'allongeait dans l'ennui.
Toutes pensees m'etaient chetives et poussiereuses. L'horizon gardait la
desolante mediocrite des choses deja vues. A chaque minute, je calculais
quand viendrait le prochain repas, ou je m'asseyais sans appetit, et la
viande, entre toutes choses, me faisait horreur. Puis s'allongeait une
nouvelle bande de temps.
Je suis convaincu que, pour des etres sensibles et raisonneurs, les
maladies sont contagieuses. Simon, jusqu'alors enclin a la voracite, fut
pris d'un degout de nourriture; il etait humilie d'une constipation
malsaine que coupent des coliques precipitees. Ecrases dans nos bas
fauteuils, et pareils au _Pauvre Pecheur_ de Puvis de Chavannes, nous
nous lamentions avec minutie. Nos levres et nos doigts, tout notre etre
s'agitaient dans un desir maniaque de fumer, alors que notre estomac en
avait horreur. Lentes apres-midi de janvier! la campagne eclatante de
neige! notre bouche pateuse, nos dents serrees de malades, et la peau
tiree de notre visage qui nous donnait un rictus degoute!
Or, nous etant regardes en face, nous eumes le courage de mepriser a
haute voix l'edifice que nous avions entrepris. Cependant que je me
reniais, il me parut que je commettais une mauvaise action, et une
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