les occupations que tu indiques, ou peut-etre j'eusse trouve une
excitation plus agreable.
--A dire vrai, dans la solitude je me desesperais. Des que je le pus, je
m'ecriai: Servons la bonne cause et servons-nous nous-meme.
--Mais comment se reconnait la bonne cause? et jusqu'a quel point vous
etes-vous servi vous-meme?
--He! me dit-il avec son fin sourire, j'ai servi toutes les causes pour
lesquelles je me sentais un mouvement genereux. Quelquefois elles
n'etaient pas parfaites, et souvent elles me nuisirent. Mais j'y
depensai la passion qu'avait mise en moi quelque femme.
--Je te comprends, mon maitre; si tu parus accorder de l'importance a
deux ou trois des accidents de la vie exterieure, c'etait pour detourner
des emotions intimes qui te devastaient et qui, transformees,
eparpillees, ne t'etaient plus qu'une joyeuse activite.
* * * * *
_Oraison_
Ainsi, Benjamin Constant, comme Simon et moi, tu ne demandais a
l'existence que d'etre perpetuellement nouvelle et agitee.
Tu souffris de tout ce qui t'etait refuse: choses pourtant qui ne
t'importaient guere. Tu te devorais d'amour et d'ambition; mais ni la
femme ni le pouvoir n'avaient de place dans ton ame. C'est le desir meme
que tu recherchais; quand il avait atteint son but, tu te retrouvais
sterile et desole. Tu connus ce vif sentiment du precaire qui fait dire
par l'amant, le soir, a sa maitresse: "Va-t'en, je ne veux pas jouir de
ton bonheur cette nuit, puisque tu ne peux pas me prouver que demain et
toujours, jusqu'a ce que tu meures la premiere, tu seras egalement
heureuse de te donner a moi."
Tu n'aimas rien de ce que tu avais en main, mais tu t'exasperas
volontairement a desirer tous les biens de ce monde. Tu trouvais une
volupte douloureuse dans l'amertume. Quelques debauches connaissent une
ardeur analogue. Ils se plaisent a abuser de leurs forces, non pour
augmenter l'intensite ou la quantite de leurs sensations, mais parce
que, nes avec des instincts romanesques, ils trouvent un plaisir
vraiment intellectuel, plaisir d'orgueil, a sentir leur vie qui s'epuise
dans des occupations qu'ils meprisent. Toi-meme, vieillard celebre et
mecontent, tu finis par ne plus resister au plaisir de le deconsiderer,
tu passas tes nuits aux jeux du Palais-Royal, et tu tins des propos
sceptiques devant des doctrinaires.
Je te salue avec un amour sans egal, grand saint, l'un des plus
illustres de ceux qui, par orgueil de
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