ippe et cette humiliation d'une carriere finissante qui jetait
encore tant d'eclat me remplissent d'une melancolie romanesque, ou je me
perds longuement.
J'aime qu'il ait ete brave. Quand on goute peu les hommes les plus
consideres, et qu'on se place volontiers en dehors des conventions
sociales, il est joli a l'occasion de payer de sa personne. D'ailleurs
beaucoup de petites imaginations (et les facultes imaginatives, c'est le
secret de la peur) sont a etouffer quand l'ame va devant soi, toute
prudence perdue!
Mais j'aime surtout Benjamin Constant parce qu'il vivait dans la
poussiere dessechante de ses idees, sans jamais respirer la nature, et
qu'il mettait sa volupte a surveiller ironiquement son ame si fine et si
miserable. Royer-Collard le mesestimait; mais nous-memes, Simon, nous
eut-il consideres, cet honnete homme peremptoire qui, par sa rudesse
voulue, fit un jour pleurer Jouffroy et n'en fut pas desole?
* * * * *
_Application des sens_
Si cet appetit d'intrigue parisienne et de domination qui parfois nous
inquiete au contact du fievreux Balzac arrivait a nous dominer, notre
sensibilite et notre vie reproduiraient peut-etre les courbes et les
compromis que nous voyons dans la biographie de Benjamin Constant.
A dix-huit ans, il souffrait d'etre inutile.... Peut-etre ne sommes-nous
ici que pour n'avoir pas su placer notre personne.
Il s'embarrassait dans un long travail, non qu'il en eprouvat un besoin
reel, "mais pour marquer sa place, et parce que, a quarante ans, il ne
se pardonnerait pus de ne l'avoir pas fait".
Il desirait de l'activite plus encore que du genie.... Ce qu'il nous
faut, Simon, c'est sortir de l'angoisse ou nous nous sterilisons;
avons-nous dans cette retraite le souci de creer rien de nouveau? Il
nous suffit que notre Moi s'agite; nous mecanisons notre ame pour
qu'elle reproduise toutes les emotions connues.
Parmi ses trente-six fievres, Constant gardait pourtant une idee sereine
des choses; "Patience, disait-il a son amour, a son ambition, a son
desir du bonheur, patience, nous arriverons peut-etre et nous mourrons
surement: ce sera alors tout comme." Ce sentiment ne me quitte guere.
Deux ou trois fois il me pressa avec une intensite dont je garde un
souvenir qui ne perira pas.
Dans une petite ville d'Allemagne, vers les quatre heures d'une
apres-midi de soleil, mes fenetres etant ouvertes, par ou montaient la
bousculade joyeuse des en
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