la conscience lorraine, englobee dans la francaise, l'enrichit
en y disparaissant. La beaute du caractere de la France est faite pour
quelques parcelles importantes de la sensibilite creee lentement par mes
vieux parents de Lorraine. Cette petite race disparut, ni degradee, ni
assoupie, mais brutalement saignee aux quatre veines.
Depuis longtemps les artistes etaient obliges de s'eloigner, en Italie
de preference, pour trouver, avec la paix de l'etude, des amateurs
suffisamment riches. Les ducs enfin quitterent le pays, ou ils se
maintenaient difficilement contre l'etranger, emmenant une partie de
leur noblesse. Dans la masse de la population cruellement diminuee, les
vides etaient combles par des Allemands, domestiques et autres hommes de
bas metier, dont fut epaissie la verve naturelle de ma race, de cette
noble race qui repoussait le protestantisme (admirable resistance
d'Antoine aux bandes lutheriennes, en 1523).
Si je defaille, ce sera de meme par manque de vigueur et non faute de
dons naturels. Nous avons, mon ami et moi, les plus jolis instincts pour
nous creer une personnalite. Saurons-nous les agreger? Les barbares
s'imposeront peu a peu a nos ames a cause des basses necessites de la
vie; j'entrevois les meilleures parties de nos etres, qui s'accommodent,
tant bien que mal, de reves concus par des races etrangeres.
* * * * *
CINQUIEME JOURNEE
LA LORRAINE MORTE
Notre enquete touche a sa fin; de Sion nous descendrons a notre ermitage
de Saint-Germain. Visiter Luneville! Retourner a Nancy ou nous
negligeames la ville neuve! pourquoi prolonger ainsi la tristesse dont
m'emplit l'avortement de l'ame lorraine? Dans ce chateau de Luneville,
les notres furent humilies. Ce palais ne me parlerait que de Stanislas,
un prince bon et fin, je l'accorde, mais entoure de petites femmes et de
petits abbes qui, par bel air, raillaient les choses locales et
copiaient Versailles. La Lorraine, dit-on, l'aima; c'est qu'elle avait
perdu toute conscience de soi-meme; elle etait morte; seul son nom
subsistait. A certains jours, mon ami et moi, nous sommes aussi capables
de prendre plaisir a des plaisanteries faciles sur ce qu'il y a de plus
profond et d'essentiel en nos ames. C'est que nous vivons a peine; nous
vivons par un effort d'analyse. Comme le nouveau Nancy, je m'accommode
de la sensibilite que Paris nous donne toute faite. En echange d'un
bonheur calme, assure, la Lorraine a laisse a
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