leur vrai Moi qu'ils ne
parviennent pas a degager, meurtrissent, souillent et renient sans treve
ce qu'ils ont de commun avec la masse des hommes. Quand ils humilient ce
qui est en eux de commun avec Royer-Collard, ce que Royer-Collard porte
comme un sacrement, je les comprends et je les felicite. La dignite des
hommes de notre sorte est attachee exclusivement a certains frissons,
que le monde ne connait ni ne peut voir, et qu'il nous faut multiplier
en nous.
* * * * *
II
MEDITATION SPIRITUELLE SUR SAINTE-BEUVE
Les froids et la brume qui salissaient la Lorraine retrecirent encore
l'horizon de notre curiosite. Enfermes plus devotement que jamais dans
les minuties de notre regle, nous jouissions des vetements amples et des
livres entasses dans nos cellules chaudes.
Je lus _Joseph Delorme, les Consolations, Volupte_ et le _Livre
d'amour_, avec les pensees jointes aux _Portraits du lundi_. Ecartant
les oeuvres du critique, je m'en tins au Sainte-Beuve de la vingtieme
annee, aux miseres de celui qui s'etonnait devant soi-meme et qui, par
la vertu de son orgueil studieux, trouvait des emotions profondes dans
un infime detail de sa sensibilite.
A cette epoque deja, il voulait le succes, car ne dans une bonne
bourgeoisie, il tenait compte de l'opinion des hommes de poids, et puis
il avait des vices qui veulent quelque argent. Toutefois, son ame
inclinait vers la religion. Ce mysticisme fait des inquietudes d'une
jeunesse sans amour et de son impatience ambitieuse, n'etait en somme
que ce vague mecontentement qu'il assoupit plus tard entre les bras
vulgaires des petites filles et dans un travail obstine de bouquiniste.
Son mysticisme alla s'atrophiant. Mais a vingt-cinq ans son reve etait
precisement de la cellule que nous construisons dans l'atmosphere froide
du monotone Saint-Germain.
* * * * *
_Application des sens_
Au Louvre, dans la salle Chaudet, musee des sculptures modernes, parmi
les medaillons de David, en se dressant sur la pointe des pieds, on peut
etudier le Sainte-Beuve de 1828. Sa vieille figure des dernieres annees,
trop grasse et d'une intelligence sensuelle, ne fait voir que le plus
matois des lettres, tandis qu'il est vraiment notre ami, ce jeune homme
grave, timide et perspicace qui a senti deux ou trois nuances
profondement.
Il s'etait compose de la vie une vision sentimentale et dominee par un
degout tres fin. Cett
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