ie, contre le monde du passe; enfin a
une education qui fut tour a tour philosophique et religieuse, et a tous
les contrastes que sa propre vie lui a presentes des l'age le plus
tendre. Elle s'est formee au milieu des luttes que le sang du peuple a
soulevees dans son coeur et dans sa vie, "et si plus tard certains
livres firent de l'effet sur elle, c'est que leurs tendances ne
faisaient que confirmer et consacrer les siennes". Ajoutez a ces
sentiments de solidarite et d'heredite irresistibles les tiraillements
douloureux, les dechirements memes du coeur que lui imposent de cruels
malentendus, perpetuellement balancee entre les emportements de sa mere
et les mepris a peine dissimules de sa grand'mere; veritable enfant de
Paris, imbue des prejuges d'une race a laquelle elle n'appartenait
cependant que d'un cote, on comprend a quelle ecole cette ame ardente,
souvent muette par contrainte, fut soumise et quel fonds d'amertume elle
dut amasser en elle contre cette difference des classes dont souffrit
cruellement son enfance. A ce point de vue, la lecture des premiers
volumes de l'_Histoire de ma vie_ est singulierement instructive et nous
fait penetrer dans les premieres impressions auxquelles s'eveilla cette
existence, bizarrement divisee, des qu'elle prit conscience d'elle-meme.
De la ce qu'elle appela plus tard ses instincts egalitaires et
democratiques, qui ne furent que l'explosion de vieilles rancunes et de
souffrances intimes, qui dataient de loin. Quand elle lut, encore
enfant, les _Battuecas_ de Mme de Genlis, un roman innocemment
socialiste (sans que le nom fut encore prononce), ce fut l'institutrice
et l'amie des rois qui revela a l'enfant reveuse une partie de ses idees
futures. Elle en resta toujours la, avec une naivete que l'age ne
corrigea pas, a travers des lectures et des formules nouvelles qui
amenerent cette naivete a declamer plus d'une fois toujours tres
sincerement, mais un peu au hasard.
Cependant, son imagination travaillait sans cesse, silencieusement et
activement. Plus tard elle en retrouvait la trace et l'action naissante
dans les souvenirs les plus lointains de sa vie. La vie d'imagination,
disait-elle, avait ete toute sa vie d'enfant. Elle se rappelait fort
bien le moment ou le doute lui etait venu sur l'existence du pere Noel,
le grand distributeur de cadeaux a l'enfance. Elle le regrettait
sincerement. La premiere journee ou l'enfant doute est la derniere de
son bonheur naif. "Retrancher le
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