nature, les idees, le sentiment du divin dans le monde et dans la
vie? Comment gouverne-t-elle et melange-t-elle ces diverses
inspirations? N'ont-elles pas produit quelquefois, par leur conflit,
quelque effet discordant, quelque confusion dans son oeuvre?
Certes ce serait un insupportable pedantisme que d'evoquer les ombres
charmantes et legeres de ses divers romans, de demander a chacune
d'elles ce qu'elle represente dans le monde et de reduire en syllogismes
ces fantaisies d'un esprit si libre et si varie. Dans le sens rigoureux
du mot, il n'y a pas de doctrine chez Mme Sand: c'est une imagination
puissante qui s'epanche en liberte, ce n'est pas une theorie qui se
developpe. D'ailleurs la passion est bien plus forte et bien plus
vivante chez elle que l'idee, et, quand c'est un principe, vrai ou faux,
qui l'inspire, il a fallu d'abord que ce principe cessat d'etre une
abstraction et devint un sentiment. On dit que Mme Sand a eu plusieurs
maitres de philosophie. Je veux bien le croire, puisqu'elle-meme nous le
laisse supposer. Mais son premier maitre de philosophie a ete son coeur,
un maitre plein d'illusions et de chimeres, et ce n'est que par
l'intermediaire de celui-ci que les autres ont pu agir et se faire
ecouter.
Il n'y a donc pas lieu de chercher bien rigoureusement la doctrine de
Mme Sand, mais seulement d'analyser ses idees a travers ses sentiments.
Trois sources d'inspiration semblent intarissables chez Mme Sand:
l'amour, la passion de l'humanite, le sentiment de la nature. Plusieurs
autres peuvent etre distinguees a cote de celles-la, mais elles
s'absorbent insensiblement et finissent par disparaitre.
Il semble, a l'en croire, que l'amour est l'unique affaire de la vie,
que la vie elle-meme, c'est-a-dire l'action, sous ses formes les plus
variees, n'ait pas d'autre objet ni d'autre emploi. Avant d'avoir aime,
on ne vivait pas; quand on n'aime plus ou qu'on n'est plus aime, a peine
a-t-on le droit de vivre encore. Cela seul, aimer, etre aime donne du
prix a l'existence. Je vois bien apparaitre un autre mobile, vaguement
deja dans les romans de la premiere maniere, tres nettement dans les
romans de la seconde periode, le sentiment humanitaire; mais ce mobile
lui-meme se subordonne au premier. Dans des romans comme _le Compagnon
du tour de France_, _la Comtesse de Rudolstadt_, _le Meunier
d'Angibault_, c'est l'amour qui est l'initiateur supreme a la doctrine
egalitaire. On se devoue au grand oeuvre, comme
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