il ne repassait pas
a chaque instant dans le roman, avec son front pale, son oeil fixe et
son manteau noir seme de larmes d'argent comme un drap mortuaire, il
pourrait nous sembler aimable. Mais c'est bien mal a lui de deraisonner
si souvent pour effrayer Consuelo et pour impatienter le lecteur! Et
quand le moment de l'initiation arrive, quand l'oracle parle enfin au
fond du souterrain, est-ce que je me trompe? Est-ce le noble comte qui
parle? il me semble reconnaitre de vieilles phrases qui ont fait un long
et vaillant service dans _la Democratie pacifique_ de ce temps et
ailleurs: "Une secte mysterieuse et singuliere reva, entre beaucoup
d'autres, de rehabiliter la vie de la chair, et de reunir dans un seul
principe divin ces deux principes arbitrairement divises. Elle voulut
sanctionner l'amour, l'_egalite_, la _communaute de tous_, les elements
de bonheur. Elle chercha a relever de son abjection le pretendu principe
du mal et a le rendre, au contraire, serviteur et agent du bien" ...
etc., etc.... Le noble comte peut continuer longtemps ainsi, il y a
longtemps que je reve, et je soupconne Consuelo de n'avoir tant de
patience a l'entendre que parce qu'elle fait comme moi. Mais tout cela
n'est rien en regard du second volume de _la Comtesse de Rudolstadt_.
C'est ici qu'un grand courage pourrait se donner le spectacle de la
maree montante du systeme et de la declamation. L'ennui atteint tout a
coup des hauteurs demesurees. Qui pourrait suivre Consuelo dans ce
Pantheon bizarre que lui ouvrent les pretres et les pretresses de la
verite, qui est decore, entre chaque colonne, des statues des plus
grands amis de l'humanite, et ou l'on voit figurer Jesus-Christ entre
Pythagore et Platon, Apollonius de Tyane a cote de saint Jean, Abailard
aupres de saint Bernard, Jean Huss et Jerome de Prague a cote de sainte
Catherine et de Jeanne d'Arc? De grace, arretons-nous sur le seuil du
temple avant que Spartacus n'arrive pour clore l'histoire, et que toutes
les figures plus ou moins touchantes du roman ne disparaissent dans les
brumes d'un symbolisme universel. Encore un roman qui finit par ce qu'il
y a de plus froid au monde, l'allegorie, uni a ce qu'il y a de plus
pompeusement vide, la theosophie humanitaire.
Ce serait vraiment abuser de l'evidence que d'insister davantage et de
repeter longuement la meme et triste epreuve sur le _Meunier
d'Angibault_, ou l'on voit, au commencement, un artisan heroique, le
grand Lemor, refuser la
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