olie qu'elle n'essayait meme plus de combattre.
Elle avait resolu de s'abstenir autant que possible de la vie; elle
avait meme passe du degout de la vie au desir de la mort. Elle ne
s'approchait jamais de la riviere sans eprouver dans sa tete comme une
gaiete febrile, en se disant: "Comme c'est aise! Je n'aurais qu'un pas a
faire." Oui ou Non?--Voila ce qu'elle se repetait assez souvent et assez
longtemps pour risquer d'etre lancee par le _Oui_ au fond de cette eau
transparente qui la magnetisait. Un jour, le _Oui_ fut prononce; elle
poussa son cheval hors de la voie marquee par le gue, dans le hasard des
eaux profondes. C'en etait fait d'elle et des chefs-d'oeuvre futurs, si
la bonne jument Colette ne l'avait sauvee, d'un bond extraordinaire,
hors du gouffre.
La mort de sa grand'mere, dont elle raconte les derniers moments avec
une douleur sans phrase et une sincerite touchante, termina la periode
d'initiation. La separation entre les deux familles paternelle et
maternelle fut consommee, legalement au moins, par l'ouverture du
testament. Sa mere, prevenue par quelqu'un, connaissait depuis longtemps
la clause qui la separait de sa fille; elle savait aussi l'adhesion
donnee a cette clause. De la de nouvelles tempetes. On y ceda dans une
certaine mesure. Aurore dut rompre avec ses parents de Villeneuve, a qui
elle etait recommandee par le voeu de la morte. Ce fut un nouveau
dechirement de famille.
Pour obvier a une situation fausse et parfois intolerable, Mme Dupin
conduisit un jour sa fille a la campagne, chez des amis qu'elle avait
rencontres trois jours auparavant et qui se trouvaient etre les
meilleures gens de la terre, les Duplessis; ils habitaient avec leurs
enfants une belle villa de la Brie. Mme Dupin promit de venir la
chercher "la semaine prochaine". Elle l'y laissa cinq mois, et c'est la
que se fit, un jour, le mariage qui devait clore tout naturellement des
relations de famille orageuses et parfois meme extravagantes et
constituer pour la jeune femme une existence normale en esperance.
Ici encore les deceptions ne manquerent pas. Aurore passait pour une
riche heritiere, d'assez belle figure et d'un caractere gai, quand elle
n'etait pas en contact avec les emportements et les irritations de sa
mere, qui avaient le privilege de la rendre affreusement triste. C'est
dans la famille Duplessis qu'elle rencontra le fils naturel d'un colonel
en retraite, M. Dudevant, dont la fortune etait en rapport avec la
sie
|