e la plus delicate de la vie a pu apporter dans
les conceptions primitives de son art, sans que l'age ait refroidi
l'inspiration. Le sujet de _Jean de la Roche_ est peut-etre le plus
original et le plus simple. Il n'echappe pas a la poetique du genre qui
condamne tout roman a n'etre, plus ou moins, que l'histoire d'un amour
malheureux. Ce sera donc encore l'eternelle lutte de l'amour contre les
obstacles qui l'entourent a chaque pas et le detournent de son but. Mais
la nouveaute est ici dans la nature de l'obstacle. Jean de la Roche est
d'une naissance au moins egale a celle de miss Love; sa fortune est
convenable, et M. Butler, grace a Dieu, n'a rien de commun avec les
peres barbares qui remplissent les romans et les drames des eclats de
leur colere. Quand tout semble conspirer au bonheur de cet amour partage
et beni, d'ou vient donc l'obstacle? D'ou jaillira la source des larmes?
Miss Love a pour frere un enfant, un terrible enfant, qui, voyant que sa
soeur va se marier, tombe dans une sorte de desespoir. Il est jaloux a
sa maniere, chastement, mais maladivement jaloux. Sa langueur
silencieuse et obstinee, une fievre nerveuse, des rechutes terribles,
voila tout le noeud du roman. L'enfant est jaloux jusqu'a en mourir, et,
comme elle l'adore, comme elle est le sacrifice meme, le sacrifice qui
garde le sourire aux levres, sans hesiter elle immole ses plus cheres
esperances. L'analyse de cette passion etrange d'un enfant fait
l'originalite de ce roman. Ce n'est plus de vive lutte que l'on peut
enlever un obstacle de cette nature; il faut des soins et des
menagements infinis pour traiter cette maladie de l'ame qui menace a
chaque instant d'emporter une vie fragile; il faut surtout une
resignation gaie et le plus difficile courage, celui qui ne craint pas
de se mesurer avec le temps et d'attendre, presque sans esperance, un
changement invraisemblable. A travers quels incidents varies un art
ingenieux conduit l'interet, le soutient en le graduant et le variant
sans cesse, comment tout se demele enfin sous la main delicate de
l'auteur, comment l'epreuve de ces deux ames vaillantes se termine et se
consacre par un bonheur qui n'est que le resultat naturel et comme
l'oeuvre de leurs genereuses qualites, voila ou se marque le talent
renouvele de l'auteur. La derniere partie du roman, la rencontre de Jean
de la Roche, deguise et meconnaissable, avec la famille Butler, une
excursion tres pittoresque au Mont-Dore, qui lui fournit l'
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