ans ses ivresses, que cette sublime Lelia dans
les hallucinations de sa cynique chastete. Les nobles idees elles-memes
qui se presentent au milieu de ce delire ne font qu'en aggraver
l'etrange abandon. "Comme ton coeur bat rude et violent dans ta
poitrine, jeune homme! C'est bien, mon enfant; mais ce coeur
renferme-t-il le germe de quelque male vertu? Traversera-t-il la vie
sans se corrompre ou sans se secher?... Tu souris, mon gracieux poete,
endors-toi ainsi." Je ne peux souffrir cette sollicitude pour la vertu
future de Stenio en un pareil moment. Lelia proteste en vain contre nos
soupcons. En vain elle declare qu'elle se complait dans la beaute de
Stenio avec _une candeur_, une _puerilite maternelle_. Je me defie
malgre moi de ces candeurs et de ces maternites factices.
Une des consequences de la theorie sur l'origine providentielle de la
passion est cet axiome romanesque, que l'amour egalise les rangs. C'est
la societe seule qui fait les castes. Dieu n'est pour rien dans nos
pueriles combinaisons. D'ou il faut conclure que, dans ce travail
providentiel qui predestine les ames les unes aux autres, il n'est tenu
aucun compte des degres de la hierarchie sociale ou le hasard et le
prejuge distribueront ces ames a leur entree dans la vie. Il y a egalite
devant Dieu, il y aura egalite dans l'amour, qui est son oeuvre. Et l'on
verra toutes ces nobles heroines, Valentine de Raimbault, Marcelle de
Blanchemont, Yseult de Villepreux et tant d'autres, aller chercher leur
ideal sous la blouse du paysan ou la veste de l'ouvrier, jalouses de
relever leurs freres abaisses et de remettre chacun d'eux a sa vraie
place. Ainsi se font les mariages d'ames, d'une extremite a l'autre de
l'echelle sociale, dans le monde des romans de Mme Sand. Elle se plait,
dans les jeux de son imagination, a rapprocher les conditions et a
preparer (elle le croit du moins) la fusion des castes par l'amour.
Qu'y a-t-il de vrai dans cette idee? L'amour egalise-t-il les rangs dans
la vie comme dans le roman? C'est une de ces questions delicates qui
n'admettent pas de reponse absolue, et que d'autres juges que les hommes
pourraient seuls eclairer avec leurs instincts et leurs fines
inductions. Si j'en crois quelques temoignages, cette idee de Mme Sand
seduirait beaucoup l'imagination des femmes. Il y a, en effet, dans le
coeur de chacune d'elles, une tendance au devouement dans l'amour, une
sorte d'instinct chevaleresque qui s'exalte dans l'idee d'une lutt
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