de certaines parties du steppe, osent
braver la malaria toute la journee, se dessinent et s'enlevent en
couleur avec une nettete comparable a celle des objets lointains sur la
mer. Au fond de cette nappe de verdure, si unie que l'on a peine a se
rendre compte de son etendue, la base des montagnes semble nager dans
une brume mouvante, tandis que leurs sommets se dressent immobiles et
nets dans le ciel.
Mais, en resume, voici la critique qui se presente a mon esprit sur
l'effet bien souvent manque de la plaine de Rome. Je dis _manque_ par
la nature sur l'oeil des coloristes, et peut-etre aussi sur l'ame des
poetes. C'est un defaut de proportion dans les choses. La plaine est
trop grande pour les montagnes. C'est une etoile enorme avec un petit
cadre. Il y a trop de ciel, et rien ne se compose pour arreter la
pensee. C'est solennel et ennuyeux, comme en mer un calme plat. Et puis
le genre de civilisation de ce pays-ci trouve moyen de tout gater, meme
le desert. Puisque desert il y a, on voudrait le voir absolu, comme
la prairie indienne de Cooper, dont les defauts naturels me semblent,
d'apres ses descriptions et les images que j'ai vues, assez comparables
a ceux d'ici: de trop petites lignes de montagnes autour de trop grands
espaces planes; mais, au moins, la prairie indienne exhale le parfum de
la solitude, et l'oeil du peintre qui voit, quoiqu'il fasse, a travers
sa pensee, peut se reposer sur une sensation d'isolement complet et
d'abandon solennel.
Ici, n'esperez pas oublier les maux passes ou presents de l'etat social.
Cette plaine est parsemee de details criards, d'une multitude de petites
ruines antiques plus ou moins illustres; de tours guelfes ou gibelines,
tres-grandes de pres, mais microscopiques sur cette vaste arene; de
cahutes de paille, assez vastes pour abriter, la nuit, les troupeaux
errants pendant le jour, mais si petites a distance, qu'on se demande si
un homme peut y loger. Ce semis de details toujours trop noirs ou trop
blancs, selon l'heure et l'effet, est insupportable, et fait ressembler
la plaine a un camp abandonne.
Pardonnez-moi cette critique froide de lieux qu'on est force, par
l'usage de trouver admirables de lignes et ruisselants de poesie. Il
faut bien que je vous explique pourquoi, sauf de rares instants ou
l'oeil saisit un detail par hasard harmonieux (les troupeaux le sont
toujours et partout) et une echappee entre deux buttes ou, par bonheur,
il n'y a pas de ruines _tranchantes_
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