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mais je
ne saurais vous dire combien fut energique et par consequent douloureux
ce combat contre les fumees du vin. J'en sortis vainqueur cependant,
car, apres m'etre arrete court a un tournant a angle vif qui me cachait
Medora, je pris seulement le temps de me dire:
--Ou est-elle? Je ne la vois plus. Peut-etre est-elle tombee dans
quelque precipice. Eh bien, pourquoi pas? Cela vaudrait beaucoup mieux
pour elle que d'etre le jouet d'un engouement deplace et passager de sa
part et de la mienne.
Apres m'etre dit ces sages paroles, je me sentis completement rendu a
mon etat naturel, et seulement fatigue comme si j'eusse fait une longue
course. Je rejoignis Medora, je l'abordai avec calme, et, au lieu des
vehements reproches que j'avais ete tente de lui adresser sur son
imprudence, je lui dis, en souriant, que je courais apres elle pour
l'accompagner, par ordre de lady Harriet.
--Je n'en doute pas, repondit-elle. Certes, vous n'y seriez pas venu de
vous-meme.
--Non, en verite, lui dis-je. Pourquoi vous aurais-je importunee de ma
presence, quand ce sentier est le plus joli et le plus commode qui se
puisse imaginer dans un lieu semblable? On peut courir ici comme dans sa
chambre, et, pour tomber, il faudrait etre d'une maladresse ridicule ou
d'une presomption stupide.
Cette observation lui fit tout a coup ralentir son allure.
--Vous pensiez donc, me dit-elle avec un regard penetrant, que je
voulais vous eblouir par mon audace, que vous prenez ces precautions
oratoires pour me dire...
--Pour vous dire quoi?
--Que mon effet serait manque! C'est fort inutile: je sais que je ne
pourrais meme pas avoir un moment de gaiete bien naturelle, me sentir
enfant et oublier que vous etes la a m'epiloguer, sans etre accusee de
poser l'Atalante ou la Diana Vernon. Vous avouerez que vous etes un
compagnon de promenade fort incommode, et qu'autant vaudrait etre sous
une cloche que sous votre regard eplucheur et malveillant.
--Puisque nous voila aux injures, je vous dirai que j'aimerais bien
autant que vous me trouver seul ici, pour admirer a mon aise et sans
preoccupation une des plus belles choses que j'aie jamais vues; mais
comment faire pour nous delivrer du tete-a-tete qu'on nous impose?
Voulez-vous que nous descendions jusqu'en bas sans nous dire un seul
mot?
--Soit, dit-elle; passez devant pour que ma tante, qui nous regarde
de la-haut, en venant tout doucement, voie bien que vous faites votre
office de garde-fou!
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