ia milord en me retenant
par le bras.
--Moi, je ne le veux pas, repondis-je. Ce bordeaux, par-dessus le cafe,
serait pour moi une medecine; et je ne comprendrais pas, d'ailleurs, que
nous pussions laisser aller sans nous, dans un endroit dangereux, les
femmes que nous accompagnons.
--Vous avez raison! dit-il en faisant un effort pour repousser son
verre. Tartaglia, viens ici. Bois ce vin! bois tout ce qu'il y a dans
la voiture, je te le commande; et, si tu n'es pas ivre-mort quand je
reviendrai, tu n'auras jamais plus un baloque de ma main.
Cette singuliere fantaisie chez un homme aussi sense me parut suspecte.
Je vis que Tartaglia suivait, comme moi, des yeux, la demarche alanguie
de milord. Il y avait trop de laisser aller dans ses jambes pour qu'il
n'y eut pas quelque chose a craindre du cote de la tete.
--Soyez tranquille, me dit l'intelligent et utile Tartaglia; _c'est moi
que je vous_ reponds de lui!
Et, sans oublier de prendre possession du vin qn'il designa comme sien
en faisant a l'hote de la Sibylle un signe rapide, il emboita le pas
derriere l'Anglais sans faire semblant de s'occuper de lui. L'hote avait
compris que Tartaglia aimait mieux lui vendre cet excellent bordeaux que
de le boire, et, avec cette perspicacite superieure dont les Italiens de
cette classe sont doues a la vue d'une _affaire_, il donna a ses garcons
des ordres en consequence.
Rassure sur le compte de mon pauvre ami, je le depassai pour aller
rejoindre les femmes, qui, sous la conduite du guide, descendaient deja
le sentier. Medora etait, comme de coutume en avant, la tete en l'air,
affectant le mepris du danger et dechirant sa robe a tous les buissons,
sans daigner faire un mouvement pour s'en preserver. En toutes choses
et en tous lieux, elle marche d'un air d'imperatrice a qui l'univers
appartient et doit ceder; et, s'il lui prenait envie de traverser
l'epaisseur des murs, elle serait, je gage, etonnee que les murs ne
s'ouvrissent pas d'eux-memes a son approche.
Ces allures de reine Mab ne me rassuraient pas plus que la demarche
avinee de lord B***; mais je crus devoir offrir mon bras a la tante.
--Non, me dit-elle, j'irai prudemment, je connais le sentier, et le
guide ne me quittera pas; mais prenez garde a Medora, qui est fort
temeraire.
Je doublai le pas et remarquai, avec un certain effroi, que j'avais pour
mon compte un peu de vertige. C'etait comme une folle envie de courir
sus a Medora, de lui prendre le bras e
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