Sokafe, la campagne de Rome et Rome tout
entiere, visible a l'oeil nu, malgre les treize milles de plaines qui
m'en separent a vol d'oiseau; de mon autre fenetre, c'est plus beau
encore: au dela de la plaine immense, je vois la mer, les rivages
d'Ostie, la foret de Laurentum, l'embouchure du Tibre, et, au-dessus
de tout cela, montant comme des spectres dans le ciel, les pales
silhouettes de la Sardaigne. C'est immense, comme vous voyez, et un
rayon de soleil m'a fait paraitre tout cela sublime. Je peux donc etre
ici languissant de sante, paresseux ou enferme par la pluie. J'ai le
vivre et le couvert assures, une bonne femme pour me montrer de temps en
temps une figure comique et bienveillante, deux pieces tres-basses, mais
assez vastes, trop mal closes et trop haut perchees d'ailleurs pour
n'etre pas suffisamment aerees; quelques livres propres a me renseigner
sur le pays, et, n'eusse-je que quelques rares eclaircies de soleil, un
des plus beaux spectacles que j'aie jamais contemples.
En ce moment, tenez, c'est splendide. Les montagnes sont d'union d'opale
si fin, si doux, qu'on les croirait transparentes. Tout ce cote de
l'est se baigne dans des reflets d'une exquise suavite. Le couchant,
au contraire, est embrase d'un rouge terrible. Le soleil, abaisse sur
l'horizon, eclate d'autant plus ardent que des masses opaques de nuages
violets s'amoncellent autour de lui. Les meandres marecageux du Tibre se
dessinent en lignes etincelantes sur des masses de forets encore plus
violettes que le ciel. La mer est une nappe de feu, et, comme pour
rendre le tableau plus lumineux et plus bizarre, une riche fontaine,
situee sur la terrasse d'une villa voisine, semble faire jaillir, aux
premiers plans, une pluie d'or fondu qui se detache sur un fond de
sombre verdure.
Mes deux chambres sont, a mon sens, les moins laides de la maison,
parce qu'elles n'ont aucune espece d'ornement. C'est pour cela que la
Mariuccia me les a cedees au moindre prix possible, estimant que je
devais etre bien pauvre, puisque je consentais a me passer de fresques
et de bustes. C'est peut-etre aussi pour cela qu'elle m'apporte les
meubles les plus propres de l'etablissement, compensation qui lui parait
probablement moins serieuse qu'a moi.
Vous voila tranquille sur le compte de votre serviteur et ami, qui,
un peu fatigue de sa journee, va se coucher avec le soleil, comme les
poules.
XIII
Frascati, villa Piccolomini, 1er avril.
Les nuees violet
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