fit energiquement le Torero. Mais ne detestez-vous pas
vous-meme Barba Roja?
Pardaillan avait fait entendre ce leger sifflement qui pouvait exprimer
aussi bien l'assentiment ou la denegation.
Puis, il dit paisiblement:
--Savez-vous a quoi je pense?
--Non! dit le Torero surpris.
--Eh bien, je pense qu'il est fort heureux pour vous que notre ami
Cervantes ne soit pas ici present.
De plus en plus ebahi par ces brusques sautes d'esprit auxquelles il
n'etait pas encore habitue, le Torero ouvrit des yeux enormes et demanda
machinalement:
--Pourquoi?
--Parce que, dit froidement Pardaillan, il aurait eu, a vous entendre,
une belle occasion de vous donner, a vous aussi, ce nom de don Quichotte
dont il me rebat les oreilles a tout bout de champ.
Et, comme le Torero demeurait muet de stupeur, il ajouta:
--Mais, dites-moi, ou avez-vous pris que je deteste le Barba Roja?
--Ma foi, je l'ai entendu dire dans le couloir ou j'etais si bien ecrase
que je n'ai pu en sortir.
--Voila comme on travestit toujours la verite, murmura le chevalier. Je
n'ai pas de raisons d'en vouloir a Barba Roja. C'est bien plutot lui qui
me veut la malemort.
A ce moment, une main souleva la portiere qui masquait l'entree de la
tente et un personnage entra deliberement.
--He! c'est mon ami Chico! s'ecria gaiement Pardaillan. Sais-tu que tu
es superbe! Peste! quel costume! Regardez donc, don Cesar, ce magnifique
pourpoint de velours, et ces manches de satin bleu pale, et ce
haut-de-chausses, et ces dentelles, et ce superbe petit manteau de soie
bleue, doublee de satin blanc. Bleu et blanc, ma parole, ce sont vos
couleurs. Et cette dague au cote! Sais-tu que tu as tout a fait grand
air? Et je me demande si c'est bien toi, Chico, que je vois la.
Pardaillan ne raillait pas, comme on pourrait croire.
Le nain etait vraiment superbe.
Habituellement il affectait un dedain superbe pour la toilette. Il ne
pouvait en etre autrement, d'ailleurs, habitue qu'il etait a courir la
campagne. Puis, pour tout dire, quand il allait implorer la charite des
ames pieuses, il etait bien oblige d'endosser un costume qui inspirat
la pitie. Car il ne faut pas oublier que le Chico etait un mendiant, un
simple et vulgaire mendiant. Au reste, a l'epoque, la mendicite etait un
metier comme un autre.
Le Chico donc etait habituellement en haillons. Tres propres, il est
vrai, depuis la lecon que lui avait infligee la petite Juana; mais des
haillons, si
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