uste,
sans bouger les pieds.
Et le taureau passa, en le frolant, lance sur la cape trompeuse. Le
Torero fit alors un demi-tour complet et se presenta de nouveau devant
la bete.
Seulement, cette fois, il brandissait au bout de son epee le flot de
rubans qu'il avait lestement cueilli au passage.
Alors, la foule, jusque-la haletante et muette de terreur et d'angoisse,
laissa eclater sa joie, et, a la considerer, hurlante et gesticulante,
on eut pu croire qu'elle venait soudain d'etre prise de folie. Les uns
criaient, d'autres applaudissaient, ici on entendait des eclats de rire,
la des sanglots convulsifs.
Toutes ces manifestations diverses et violentes etaient le resultat de
la reaction qui se produisait. C'est que, pendant tout le temps ou le
Torero, apres avoir provoque sa fureur, attendait l'assaut de la
bete sans reculer d'une semelle, avec un calme souriant, l'angoisse
etreignait les spectateurs a un degre tel qu'on pouvait croire que la
vie etait suspendue et se concentrait, toute, dans les yeux hagards,
stries de sang, qui suivaient passionnement les mouvements violents de
la brute qui, seule, attaquait, tandis que l'homme, en la bravant, se
soustrayait a ses coups, a l'ultime seconde ou ils etaient portes.
Dans la loge royale, si puissante que fut sa haine contre celui qui
lui rappelait son deshonneur d'epoux, le roi, pendant tout ce temps,
trahissait son emotion par la contraction de ses machoires et par une
paleur inaccoutumee.
Fausta, sous son impassibilite apparente, ne pouvait s'empecher de
fremir en songeant qu'un faux pas, un faux mouvement, une seconde
d'inattention pouvaient provoquer la mort de ce jeune homme en qui
reposait l'espoir de ses reves d'ambition.
Seul, d'Espinosa restait immuablement calme. Il serait injuste de ne
pas dire que, pendant les instants mortellement longs ou l'homme,
impassible, subissait l'attaque furieuse de la brute, tous ceux de la
noblesse, qui savaient cependant qu'il etait condamne, faisaient des
voeux pour qu'il echappat aux coups qui lui etaient portes.
Puis, cette espece d'acces de folie, qui s'etait empare de la foule,
se transforma en admiration frenetique, et l'enthousiasme deborda,
delirant, indescriptible. Mais ce n'etait pas fini.
Le Torero avait cueilli le trophee. Il etait vainqueur. Il pouvait se
retirer. Mais on savait que, s'il ne tuait jamais la bete, il s'imposait
a lui-meme de la chasser de la piste, seul, par ses propres moyens.
Tout
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