e mon coeur, ou vous allez crever le
ventre de votre vieille nourrice!
Mais l'enfant de son coeur n'entendait pas. Comme elle avait crie
brutalement: "Prends-moi dans tes bras!" elle cria de meme, en la
bourrant de coups de talon furieux:
"Mais descends-moi donc! Je ne veux pas les voir, ces ehontees! Elles me
rendraient folle!
Et la vieille, eberluee, ahurie, medusee, ne put qu'obeir machinalement,
sans trouver un mot, tant son saisissement etait grand, et elle
considera un moment avec une inquietude affreuse son enfant qui, en
effet, paraissait ne plus avoir toute sa raison.
Pour achever de lui faire perdre le peu de conscience qui lui restait,
Juana ne fut pas plutot a terre que, saisissant la matrone par la main,
elle l'entraina violemment, en disant d'une voix coupee de sanglots:
--Viens! allons-nous-en! partons! Ne restons pas une minute de plus ici!
Je ne veux plus voir, je ne veux plus entendre!
Et, avec une inconscience qui assomma litteralement la nourrice, elle
ajouta:
--Maudite soit l'idee que tu as eue de me conduire a cette course!
C'est ainsi que la petite Juana n'assista pas a la fin de la course.
C'est ainsi que, sans s'en douter, elle echappa a la bagarre qui devait
suivre et dans laquelle elle courait le risque de perdre la vie; c'est
ainsi qu'elle echappa a la mort qui planait sur cette multitude de
curieux.
XI
VIVE LE ROI CARLOS!
Cependant le taureau avait ete lache.
Tout d'abord, comme presque toujours, ebloui par la lumiere eclatante,
succedant sans transition a l'obscurite d'ou il sortait, il s'arreta,
indecis, humant l'air, frappant ses flancs de sa queue, agitant sa tete.
Le Torero lui laissa le temps de se reconnaitre, puis il fit quelques
pas a sa rencontre, l'excitant de la voix, lui presentant sa cape
deployee.
Le taureau ne se fit pas repeter l'invite. Ce morceau de satin ecarlate
qu'on lui presentait lui tira l'oeii tout de suite, et il fonca droit
sur lui, tete baissee.
Ce fut un moment d'indicible emotion parmi ceux qui ne souhaitaient
pas la mort du Torero. Pardaillan lui-meme, empoigne par la tragique
grandeur de cette lutte inegale, suivait avec une attention passionnee
les phases de la passe.
Le Torero, qui paraissait cheville au sol, attendit le choc, sans
bouger, sans faire un geste. Au moment ou le taureau allait donner son
coup de corne, il deplaca la cape a droite. Prodige, le taureau suivit
le morceau d'etoffe qu'il frappa. En passant;
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